par Marc Uyttendaele.
Le monde politique est en émoi à la suite de la reprise des journaux du Groupe Vers l’avenir par une filiale de l’intercommunale Tecteo. Nombre de responsables font mine de s’étonner du caractère tentaculaire de cette intercommunale que rien n’arrête. Un président de parti a même comparé cette situation à l’œuvre du docteur Frankenstein. Le docteur Frankenstein a créé un monstre qui lui a échappé alors qu’ici, la créature juridique, devenue patron de presse, ne doit son existence qu’à l’inertie de l’ensemble des partis politiques qui ont exercé le pouvoir, depuis vingt ans, dans les régions. Dans le monde de la finance, des contribuables optent pour la voie la moins imposée. Ils profitent, sans frauder, des lacunes ou des contradictions de la législation pour échapper à l’impôt. La même logique a permis aux responsables de Tecteo de développer leurs activités en échappant à tout contrôle public. Pour mesurer l’ampleur du mal, il faut en revenir aux principes.
Premier principe, une intercommunale a pour mission la gestion par plusieurs communes, auxquelles peuvent s’adjoindre d’autres partenaires, notamment privés, de missions qui sont exercées plus efficacement en commun qu’elles ne le seraient, isolément, par chacune d’elles. Deuxième principe, si une intercommunale, grâce à de l’argent public, génère des bénéfices, ceux-ci doivent revenir, en tout ou en partie, aux communes et leur permettre de réinvestir des moyens dans leurs autres missions, lesquelles sont souvent déficitaires. Troisième principe, étant des pouvoirs subordonnés, les intercommunales sont soumises à un contrôle de tutelle de l’autorité publique supérieure, soit l’autorité régionale. Cette dernière peut notamment leur interdire d’assumer des missions, totalement étrangères à l’intérêt communal.
L’opération Tecteo heurte de manière flagrante ces trois principes. Tout d’abord, la gestion d’un organe de presse ne fait pas partie des missions des communes. En effet, il ne s’agit pas ici pour un ensemble de communes de coordonner leur action pour éditer des bulletins communaux d’information, mais de se transformer en patrons de presse. Il ne s’agit pas non plus, comme le font les communautés, de prodiguer une aide à la presse ou d’organiser un service public de l’information. De telles missions sont strictement encadrées par des normes législatives, adoptées démocratiquement, et garantissant les principes d’indépendance et d’égalité. Or, dans l’opération de reprise des quotidiens du groupe Vers l’Avenir, il n’existe aucun encadrement légal, ni aucune garantie visant à préserver l’indépendance des rédactions. C’est profitant d’un vide juridique que Tecteo pénètre ainsi sur un terrain qui est totalement étranger à l’intérêt communal et méconnaît notre premier principe. Ensuite, la gestion d’organes de presse est souvent déficitaire et il n’appartient pas aux communes, et donc aux citoyens, de supporter les conséquences économiques de la folie des grandeurs des dirigeants d’une intercommunale. Sans doute ceux-ci rétorqueront qu’en raison d’autres activités bénéficiaires, leurs budgets seront en équilibre et que les communes ne devront pas mettre la main à la poche pour compenser le déficit éventuel de leur nouvelle initiative. Il s’agirait là cependant d’un trompe l’œil car toute activité déficitaire d’une intercommunale ou de ses filiales se caractérise par un manque à gagner au détriment des communes. Or celle-ci, confrontées aux effets sans précédent de la crise économique, sont souvent exsangues. Les petits jeux des dirigeants de Tecteo ont une conséquence claire : les moyens qui ne reviennent aux communes ne permettent pas à celles-ci d’investir plus et mieux dans les secteurs qui bénéficient au citoyens : le logement, les écoles publiques, l’aide sociale, etc… Voilà, le deuxième principe mis en péril. Enfin, s’il est choquant, mais juridiquement admissible, de voir des citoyens fortunés, non pas frauder, mais faire le choix de la voie la moins imposée, il est plus écœurant encore de constater que des gestionnaires publics profitent des failles de la réglementation pour échapper à tout contrôle. Tecteo est une intercommunale qui regroupe des communes appartenant aux trois régions du pays et échappe ainsi aux règles de contrôle fixées dans chacune d’elles. Les auteurs de la réforme de l’Etat avaient prévu ce cas de figure et exigé des régions qu’elles concluent un accord de coopération pour éviter que n’existe ainsi une zone de non droit. Cela fait vingt ans que cette obligation a été édictée. Cela fait vingt ans que les gouvernements régionaux la méconnaissent. C’est dans cette brèche que se sont engouffrés sans vergogne les responsables de Tecteo pour que soit mis à mal le troisième principe. A cet égard, l’opacité sur la rémunération du principal dirigeant de cette intercommunale est emblématique. Si, à l’heure de la transparence, exigée dans tout le secteur public, et en particulier des dirigeants des entreprises publiques, il s’abstient de livrer les informations qui lui sont publiquement demandées, c’est assurément parce qu’il a quelque chose à cacher. C’est assurément parce que son niveau de rémunération provoquerait un émoi dans l’opinion. Or, rappelons-le, toute dépense inutile d’une intercommunale constitue un manque à gagner pour ses associés, et par voie de conséquence pour les citoyens. Il n’est plus possible, aujourd’hui, de se voiler la face. Il est grand temps que les gouvernements régionaux, avec vingt ans de retard, remplissent enfin leurs obligations légales, sous peine de voir proliférer plus encore, dans une sorte de Jurassic Park interrégional, ces créatures juridiques qui se meuvent dans le non droit et qui, en toute impunité, ne sont guidées que par leur bon vouloir.