par Vincent de Coorebyter**
L’arrêt rendu par la Cour constitutionnelle le 12 mars a relancé le débat sur les cours de religion et de morale laïque à l’école publique, qu’on appelle parfois, improprement, cours philosophiques. En montrant que la fréquentation d’un de ces cours ne constitue pas une obligation constitutionnelle, et en accordant un droit de dispense aux parents ou aux élèves qui ne souhaiteraient pas suivre un de ces cours, la Cour constitutionnelle a rendu la fréquentation de ces cours facultative. Mais elle ne s’est pas prononcée sur leur avenir, qui n’est pas de sa compétence.
Ces cours étant contestés par certains depuis de nombreuses années, il serait logique que le débat porte d’abord sur leur maintien ou non. Certes, la situation est actuellement cadenassée, l’article 24 de la Constitution imposant aux écoles publiques d’offrir le choix entre un de ces cours. Mais s’il n’est pas ouvert à révision pour le moment, l’article 24 pourrait l’être sous la prochaine législature : il appartient au gouvernement fédéral et au Parlement de décider de permettre ou non de modifier cet article.
Il serait donc intéressant de vérifier la position des partis en la matière. La majorité des deux tiers requise pour réviser la Constitution pourrait-elle être atteinte pour supprimer purement et simplement l’obligation d’organiser ces cours ? Cela paraît sacrilège d’y penser, puisque cette obligation fait partie intégrante du Pacte scolaire. Mais au moment où la décision devra être prise, c’est-à-dire 60 ans après le Pacte, le jeu pourrait être plus ouvert qu’il n’y paraît. Quels partis tiennent-ils absolument au maintien de ces cours ? Le CD&V ? Si c’était le cas, il pourrait être isolé sur ce point au sein de la majorité fédérale. Le CDH, dont la ministre de l’Education, Joëlle Milquet, est favorable à cet enseignement parce qu’il constitue, à ses yeux, un rempart contre les extrémismes ? Mais le CDH ne se revendique pas, comme le PSC dont il est issu, d’une ligne chrétienne. Et s’il n’a pas voulu renier son passé, certains plaident, dans ses rangs, pour qu’il manifeste sa différence avec son prédécesseur : ce dossier pourrait être une occasion de le faire.
En fait, la plus forte résistance à la suppression de ces cours pourrait venir de certains partis attentifs à la défense de l’école publique, et qui, poussés par des organisations laïques, pourraient craindre que l’école publique soit moins attractive pour les croyants si elle n’offre plus de cours de religion. De ce point de vue, il est possible que le statu quo – le maintien de l’offre avec droit de dispense et, éventuellement, diminution du nombre d’heures de cours – ait le plus de chances de l’emporter, de sorte que l’article 24 ne serait pas révisé ou ouvert à révision. Mais cela vaudrait la peine de le vérifier auprès des partis.
Cela étant, en Communauté française, la question la plus urgente n’est pas là : elle porte sur la mise en œuvre de la déclaration gouvernementale, qui prévoit la suppression progressive d’une des deux heures hebdomadaires de cours et son remplacement par un cours d’éducation à la citoyenneté, qui s’adresserait à tous les élèves sans distinction.
Ce scénario permet de ne pas supprimer les cours existants, tout en introduisant un enseignement commun de la citoyenneté sans augmenter le volume de cours dispensés. Mais il ne vide pas, à lui seul, toutes les questions. Et il en ouvre même, puisque la déclaration gouvernementale précise que cette réforme ne peut entraîner de perte d’emploi pour les professeurs en place.
Faut-il en conclure que le nouveau cours de citoyenneté sera donné par les actuels professeurs de religion et de morale laïque ? C’est une question difficile, sur laquelle, sauf erreur, toute la lumière n’est pas faite. Car si l’une des contraintes est de ne provoquer aucune perte d’emploi (ce qui, par parenthèse, est discutable : à ce compte, bien des réformes seraient impossibles), il serait logique de confier ce nouvel enseignement aux actuels professeurs de religion et de morale laïque. Mais une telle option entrerait en contradiction avec un autre objectif du gouvernement, qui consiste à organiser cet enseignement « dans le respect des principes de la neutralité ». Or les enseignants de religion ne sont pas neutres, et ceux de morale laïque ne le sont pas nécessairement, comme vient de le rappeler la Cour constitutionnelle. Si les professeurs de morale ont été choisis par les pouvoirs publics, les professeurs de religion l’ont été par les organes chefs de culte, sur la base de critères propres à ces cultes. Une part non négligeable de ces enseignants n’est ni orientée ni formée de manière à pouvoir dispenser un cours neutre et de qualité sur les valeurs démocratiques, les droits de l’homme ou l’histoire des religions et de la pensée laïque, ce qui constitue pourtant l’objectif du gouvernement.
Qui, dès lors, donnera ce futur cours ? Le plus simple et le plus rassurant serait d’en faire un cours de philosophie plutôt que de citoyenneté. Le plus simple, car la philosophie est enseignée dans toutes les universités, et produit assez de diplômés pour occuper les postes qui s’ouvriraient. Le plus rassurant, car l’enseignement de la philosophie est neutre au plan convictionnel, contrairement à ce que l’on croit parfois : il est semblable dans toutes les universités et n’obéit à aucun mot d’ordre, confessionnel ou laïque. Son unique ambition est de favoriser un questionnement ouvert, conceptuel et critique, qui est depuis toujours un antidote aux dogmatismes, quels qu’ils soient.
Il reste que, à en croire sa déclaration fondatrice, le gouvernement communautaire s’engage vers un cours de citoyenneté, qu’il juge sans doute plus conforme aux exigences du moment. Ce choix est parfaitement défendable, mais à la condition qu’un tel cours soit scrupuleusement conçu, préparé et enseigné. Car les matières qui y seront brassées sont les plus difficiles de toutes, et exigent une formation multidisciplinaire de haut niveau. Qui peut prétendre, aujourd’hui, enseigner à la fois les droits fondamentaux, la démocratie, la citoyenneté et les grands courants de la pensée humaine ? S’il était donné par des professeurs non préparés, et s’il était marqué par leurs convictions personnelles, un tel enseignement aurait surtout des effets pervers : il accentuerait le brouillard et l’ambiguïté qui entourent toutes ces questions, et dont témoigne le moindre débat public à leur sujet.
** Billet précédemment paru dans Le Soir.