Partis politiques et élections démocratiques : du mariage forcé au divorce impossible ? (par Thibault Gaudin, sous la direction d
Le point de départ de cette recherche consiste à s’interroger sur la place et le rôle des partis politiques dans le système démocratique belge, et plus précisément dans les élections. Le rôle des partis correspond-il à celui dressé par une doctrine majoritaire, qui fait des partis politiques un rouage indispensable au fonctionnement des élections démocratiques, ou doit-on nuancer le propos en soulignant leur potentiel antidémocratique ?
Dans un première temps, il s’agira d’exposer les relations de collaboration entre partis politiques et élections démocratiques. En d’autres termes, il s’agira de mettre en avant le caractère profondément démocratique du système de partis belge, notamment en listant une série de fonctions des partis qui font de ces derniers des intermédiaires indispensables au bon fonctionnement des élections. Parmi ces fonctions, nous développerons, entre autres, la fonction de clarification du débat politique, et donc de formation de l’opinion publique. Cela rejoint la position de la Cour européenne des droits de l’homme qui fait des partis politiques le principal vecteur du débat public, consubstantiel à la démocratie. Le recrutement et la formation des élites politiques apparaît également comme une fonction centrale des partis, ce qui passe notamment par des procédures particulières de confection des listes de candidats – et donc la sélection de ces derniers. Nous verrons également qu’à un niveau plus individuel, les partis permettent aux électeurs de concrètement mettre en œuvre leur droit de vote (ce qui est fort lié au rôle de clarification du débat public) mais également leur droit d’éligibilité en leur proposant de figurer sur une liste en profitant des ressources, financières et médiatiques, du parti. Ils permettent également aux citoyens d’exercer leurs libertés fondamentales d’association et d’expression et sont indispensables, d’après la Cour de Strasbourg, à l’exercice du droit aux élections libres. Ces différentes fonctions seront analysées dans une perspective longitudinale et historique, afin de déceler, dans leur histoire, si elles ont été considérées de manière constante ou si, au contraire, elles ont drastiquement changé.
Dans un second temps, nous exposerons, par contraste, les relations d’obstruction qui lient partis politiques et élections libres. C’est-à-dire que nous pointerons les dangers potentiels que font planer les partis sur le caractère libre et juste des élections. Pour ce faire, nous envisageons de revenir sur chacune des fonctions mises à jour dans la première partie pour en proposer une analyse des limites, en particulier du point de vue des droits individuels. Ainsi, si les partis participent à clarifier le débat politique, ils peuvent également le travestir à des fins purement électorales. De même, par leur fonction de recrutement politique, les partis exercent un droit discrétionnaire de refuser à un citoyen l’exercice de son droit d’éligibilité – de facto plus que de jure. A ce stade, nous identifions au moins trois dimensions à la restriction du droit d’éligibilité par les partis politiques : (1) en refusant l’accès pur et simple à l’élection ; (2) en refusant une position en ordre utile sur une liste et (3) en refusant le financement d’une campagne électorale à un candidat. Un raisonnement similaire pourrait être tenu au regard du droit de vote, dans la mesure où, en sélectionnant en amont de l’élection les candidats qui figureront sur une liste et en les ordonnant de manière stratégique, le parti politique peut être amené à influencer la manière dont les citoyens peuvent utilement exercer leur droit de vote – en les empêchant de voter pour un candidat qu’ils soutiennent, par exemple, ou en plaçant ce dernier en ordre non utile. Ces derniers points s’inscrivent, par ailleurs, dans un cadre systémique : le mode de scrutin. Les partis, commes législateurs, peuvent jouer sur cette variable afin de laisser une plus ou moins grande liberté à l’électeur – et donc, potentiellement, la réduire à peau de chagrin.
De plus amples recherches nous amèneront fort probablement à mettre en évidence d’autres fonctions qu’occupent les partis politiques dans le processus électoral ; aussi les quelques exemples précités ne forment pas une liste exhaustive.
Dans un troisième et dernière temps, nous nous demanderons si le mariage des partis politiques et des élections démocratiques, exposé dans la première partie, n’était pas un mariage forcé. En d’autres termes, nous questionnerons le lien de nécessité qui lie partis politiques et élections : peut-on envisager un système de scrutin qui se passe de partis politiques ? Peut-on, dans une démarche peut-être moins ambitieuse, imaginer un mode de scrutin qui élimine les relations d’obstruction mises en évidence dans la deuxième partie ? Cette troisième partie se concentrera sur ces questions. Pour y apporter une réponse, nous nous servirons de quelques éléments de droit comparé. S’il n’existe à notre connaissance aucun système démocratique sans partis politiques, certains systèmes pourraient servir de source d’inspiration – nous pensons par exemple aux systèmes de vote unique transférable (VUT), comme le système maltais ou irlandais. Il s’agira également, enfin, d’analyser la faisabilité juridique d’une réforme de cette ampleur du mode de scrutin.
En définitive, cette articulation en trois temps nous permettra de répondre à notre question initiale : la relation entre partis politiques et élections démocratiques a-t-elle évolué d’un mariage forcé à un divorce impossible ?