La période de confinement que traversent actuellement la Belgique et la plupart des pays est inédite à bien des égards.
En particulier, sur le plan juridique et politique, cette situation engendre un nombre important de procédures exceptionnelles et l’adoption de mesures largement dérogatoires au droit commun. Qu’il s’agisse des pouvoirs spéciaux qui bouleversent l’équilibre traditionnel entre nos pouvoirs constitués ou des mesures adoptées pour limiter l’impact de la crise sur le budget de la sécurité sociale, les dispositifs extraordinaires se multiplient.
Afin de mieux comprendre ce qui se joue sous nos yeux, le Centre de droit public de l’ULB vous propose son Carnet de crise : régulièrement, ses membres mettront en ligne analyses et commentaires de ces dispositifs sous une forme accessible.
Bien entendu, les propos diffusés dans ce cadre n’engagent que leur auteur et autrice et non l’ensemble du CDP.
La pandémie du COVID-19 amène un flot de centaines de milliers de nouveaux chômeurs (au chômage temporaire, voir sur ce site le carnet de crise # 17, ou sur le droit passerelle s’agissant des indépendants, voir sur ce site le carnet de crise # 5), fragilise de nombreuses petites et moyennes entreprises, remet en question des secteurs entiers, comme le tourisme de masse ou l’aviation. La Banque nationale craint « une reprise économique grevée par des faillites et des pertes d’emploi substantielles »[1].
Dans ce contexte, des appels se font entendre en faveur d’une manière différente de produire. Par exemple, le samedi 25 avril 2020, Philippe Varin, le président de France Industrie (l’organisation patronale qui représente l’industrie française) déclarait sur les ondes françaises qu’il « va falloir réinventer ensemble un nouveau modèle productif. Il y a deux leviers essentiels : un, l’investissement massif et, deux, le capital humain, qui va être très abimé ». S’agissant de ce second aspect, le représentant patronal a expliqué qu’« il faudra réinventer de nouvelles solutions, de manière à pouvoir ré-offrir à chaque nouveau chômeur une formation associée qui lui permette d’avoir un avenir professionnel »[2].
En Belgique, Maggie De Block, la ministre des Affaires sociales, suggère de réorienter les travailleurs qui perdent leur emploi vers le secteur des soins de santé. La ministre explique qu’elle souhaite offrir « la possibilité aux personnes qui ont perdu leur emploi pendant la crise du coronavirus de se reconvertir gratuitement en infirmier. Ils reçoivent une compensation pendant qu’ils suivent cette formation de réorientation »[3]. Cette proposition semble faire écho à des pratiques déjà mises en place par les interlocuteurs sociaux de la commission paritaire compétente pour les soins de santé fédéraux. En effet, la formation en art infirmier offre aux travailleurs relevant de la commission paritaire des établissements et services de santé (CP 330) la possibilité de suivre, par exemple, le baccalauréat en soins infirmiers tout en continuant à bénéficier du paiement du salaire. Le projet est géré par le FINSS (Fonds intersectoriel des services de santé), qui prend en charge le coût du maintien du salaire[4].
Au-delà du secteur des soins de santé, les pratiques belges de concertation sociale nous ont transmis un système de formation et de reclassement professionnel des travailleurs qui pourrait s’avérer important dans les mois à venir. Organisé par les représentants des employeurs et des travailleurs rassemblés au niveau de la branche d’activité, ce système repose sur des fonds sectoriels – des organismes que ce carnet de crise s’attache à décrire –, des organismes de formation privés (souvent liés aux agences d’emploi privées) et l’autorité publique, par le biais à la fois du Service public fédéral Emploi, Travail et Concertation Sociale et des services publics régionaux de l’emploi (Actiris, Forem, VDAB, Bruxelles Formation et ADG). Le présent carnet de crise vise à offrir une vue transversale de cet écosystème, et suggère que celui-ci pourrait fournir des outils importants au moment de faire face à des problèmes d’une complexité inégalée[5].
Dans les trois sections de ce carnet, nous présentons les acteurs de l’écosystème sectoriel de la formation des travailleurs et, plus spécifiquement, du reclassement des travailleurs licenciés.
Plusieurs manières d’organiser le reclassement au niveau du secteur
Hors le cas du licenciement collectif, lequel emporte l’application d’une réglementation spécifique[6], un travailleur licencié (s’il remplit certaines conditions d’ancienneté) bénéficie d’un accompagnement en vue de retrouver un emploi, fourni par l’employeur (et est obligé de l’accepter). Les textes de référence sont la convention collective de travail n° 51 du 10 février 1992 conclue au sein du Conseil national du Travail, qui offre un cadre juridique pour un outplacement facultatif[7], la convention collective de travail n° 82 conclue au sein du même Conseil national du Travail qui impose en 2002 un régime de reclassement professionnel[8], et la loi du 5 septembre 2001 visant à améliorer le taux d’emploi des travailleurs, dont le contenu a été en grande partie prescrit par la négociation collective tripartite et qui instaure depuis 2013 un troisième régime de reclassement[9]. Nous évitons au lecteur une présentation de l’articulation kafkaïenne des trois régimes, qui coexistent ; notre objectif est de présenter un écosystème et le lecteur trouvera des informations sur les régimes de reclassement professionnel dans la doctrine ou sur les sites web des organisations syndicales[10].
Comment les acteurs de la négociation collective ont-ils mis en œuvre les trois régimes ? En théorie, les partenaires sociaux doivent pouvoir choisir eux-mêmes, sans entraves des autorités, le niveau où la négociation doit se dérouler (niveau central, branche ou entreprise)[11]. Dans la pratique, de nombreux secteurs ont désigné le ou les prestataires de reclassement pour toute la branche d’activité. Afin de systématiser les différents dispositifs mis en place, nous avons examiné toutes les conventions collectives des commissions paritaires compétentes pour les ouvriers (1xx), les employés (2xx) et mixtes (3xx) qui réglementent la formation ou le licenciement[12]. Parmi ces conventions collectives, une trentaine encadre les missions de reclassement professionnel[13]. L’examen a permis de dégager plusieurs catégories de dispositifs lorsqu’un prestataire de service est désigné au niveau du secteur. Dans ce carnet de crise, nous nous penchons brièvement sur deux catégories, qui nous semblent les plus intéressantes en raison du fait qu’elles mettent en place des dispositifs institutionnels et obligatoires (et donc solidaires, dès lors qu’elles préviennent l’apparition d’une multitude de régimes, plus ou moins avantageux) pour accompagner le travailleur licencié. Dans les autres cas, l’intervention des interlocuteurs sociaux vient apporter un soutien financier ou suggère des partenaires de formation mais un cadre réglementaire contraignant accompagné d’une mise en œuvre concrète est inexistant.
Le premier type de dispositif qu’il nous semble utile de présenter est celui où la négociation collective attribue, par la voie d’une convention collective, l’organisation du reclassement professionnel à un fonds de sécurité d’existence (F.S.E.), un organisme propre à la concertation sociale que nous décrivons plus bas[14]. Un deuxième modèle mérite l’attention : un organisme y est également chargé d’exécuter, pour l’ensemble du secteur, les missions de reclassement professionnel, mais il ne s’agit pas d’un F.S.E. mais d’une A.S.B.L. de formation constituée par les partenaires sociaux eux-mêmes et mandatée par la voie d’une convention collective rendue obligatoire. On y retrouve la très imposante commission paritaire auxiliaire pour employés, dont la convention collective du 10 juillet 2014, rendue obligatoire par arrêté royal du 21 juillet 2016, prévoit que la mission est confiée au Cefora. La section ci-dessous présente brièvement les F.S.E., tandis que la suivante développe le cas de l’A.S.B.L. de formation Cefora.
Les Fonds de sécurité d’existence (F.S.E.)
Dans un nombre important de secteurs, en ce compris le vaste et actif secteur de la construction (CP 124), la mission de reclassement est confiée au fonds de sécurité d’existence. Les fonds de sécurité d’existence apparaissent dès la fin du XIXe siècle. « Ils permettaient de venir en aide aux travailleurs qui perdaient leur travail ou qui, en incapacité de travail, se trouvaient privés de leur rémunération. Au lendemain de la guerre 1940-45, il est apparu important aux interlocuteurs sociaux de couvrir des besoins non pris en charge par la sécurité sociale. Aussi, en 1946, les premiers fonds sociaux furent créés, principalement dans les secteurs où le travail était intermittent ou dépendait des conditions climatiques. La loi du 28 juillet 1953 fixa les principes de base et les modalités de fonctionnement des fonds »[15].
Le cadre juridique des fonds de sécurité d’existence est aujourd’hui établi par la loi du 7 janvier 1958 concernant les fonds de sécurité d’existence, lesquels sont des constructions juridiques de droit privé sui generis[16]. L’article premier de la loi définit trois types de missions : d’abord, financer, octroyer et liquider des avantages sociaux à certaines personnes ; ensuite, financer et organiser la formation professionnelle des travailleurs et des jeunes ; enfin, financer et assurer la sécurité et l’hygiène des travailleurs en général. D’emblée, les F.S.E. permettaient de combiner des prestations financières ajoutées à celles payées par l’assurance chômage avec la mise en place de formations professionnelles durant les périodes d’indemnisation. Expliqué plus pragmatiquement, lorsque le travail vient à manquer sur la chaine de production au point d’entraîner du chômage économique ou technique et que l’Office national de l’emploi s’acquitte de sa tâche de remplacer une partie du salaire, le F.S.E. comble une partie du différentiel avec la rémunération et propose des périodes de formation. De là provient l’implication importante des F.S.E. dans le domaine de la formation professionnelle. C’est principalement le cas dans les secteurs industriels et de la construction, où le paiement d’allocations de chômage temporaire est causé par des interruptions techniques du travail. A contrario, l’émergence de grands secteurs d’employés au cours de la seconde partie du XXe siècle – le secteur tertiaire –, dans lesquels le travail n’est pas soumis aux mêmes aléas, n’a pas donné lieu à des formations professionnelles pilotées par les F.S.E. dans les mêmes proportions[17].
Le F.S.E. qui attribue et gère le plus grand nombre de dispositifs est probablement celui du secteur de la construction (CP 124). Le fonds Constructiv dispense, par l’intermédiaire de 4758 formations agréées, près d’un million d’heures de formation par an. Les opérateurs de formation sont agréés par des organismes paritaires régionaux, comme Construfutur en Wallonie. Il s’agit d’une partie seulement des activités du fonds Constructiv, lequel offre aussi des compléments de revenus dans différentes situations, un soutien au crédit hypothécaire, un régime de pension complémentaire, un soutien à l’enseignement en alternance selon des mécanismes qui bénéficient tantôt au travailleur tantôt à l’employeur[18].
Comment sont financés les F.S.E. ? L’article 7 de la loi du 7 janvier 1958 dispose que les représentants des employeurs et des travailleurs réunis au niveau du secteur peuvent décider d’une cotisation spécifique, en pourcentage de la masse salariale, que cette cotisation est récoltée par l’O.N.S.S. et que les montants sont ensuite attribués au F.S.E. Dans ce cas, les modes de calcul, de perception et de recouvrement de ces cotisations sont les mêmes que ceux des cotisations sociales que l’organisme national de sécurité sociale est chargé de percevoir. Cette disposition montre combien les F.S.E. sont imbriqués dans l’organisation de la sécurité sociale, dont ils peuvent bénéficier du système de perception des cotisations (ce que la plupart fait).
Les membres de la commission paritaire, lesquels sont les représentants des employeurs et des travailleurs au niveau de la branche d’activité, exercent un contrôle rapproché et continu sur les activités de leur F.S.E. Ainsi, la loi du 7 janvier 1958 stipule que « les Fonds de sécurité d’existence sont gérés paritairement par des représentants des employeurs et des travailleurs » (article 3), qu’« un contrôle est exercé sur la gestion de chaque Fonds par un reviseur ou un expert comptable. Ce reviseur ou cet expert comptable est désigné par la commission paritaire compétente » (article 12, al. 1), que cette personne « a un droit illimité de surveillance et d’enquête sur toutes les opérations comptables du Fonds » (article 12, al. 2). L’ensemble de ces dispositions montre comment la politique de formation professionnelle sectorielle est dirigée conjointement par les représentants des employeurs et des travailleurs.
Il existe actuellement quelques 150 fonds de sécurité d’existence et c’est via ces fonds que de nombreux travailleurs licenciés doivent suivre une procédure de reclassement professionnel[19]. Le financement collectif et obligatoire sur lequel ils reposent permet de créer un système couvrant l’entièreté du secteur et d’offrir des formations de qualité à tous les travailleurs, alors que des entreprises de petite taille n’en auraient pas développées elles-mêmes.
Le cas du Cefora dans la CP 200
Tous les secteurs qui ont organisé le reclassement n’ont pas mandaté un F.S.E. Nous avons en effet pointé que, dans certaines commissions paritaires, les interlocuteurs sociaux sectoriels ont institué des A.S.B.L. spécifiques en vue de former les travailleurs, comme c’est le cas dans la commission paritaire 200. Depuis 1996, le Cefora propose, via des prestataires de service, un reclassement professionnel (encore une fois, que le travailleur doit accepter), aussi bien en cas de licenciement individuel qu’en cas de licenciement collectif. Cette offre est combinée à la possibilité de suivre des formations pour mettre à niveau les compétences du travailleur.
Chaque année, le nombre de travailleurs licenciés débutant un accompagnement via le Cefora tourne autour de 2000 :
Année | Nombre de participants ayant démarré |
2013 | 2 372 |
2014 | 2 639 |
2015 | 1 990 |
2016 | 1 901 |
Il est intéressant de remarquer qu’un reclassement professionnel a une durée légale de 12 mois. C’est donc habituellement environ deux mille travailleurs qui sont suivis simultanément. Le budget annuel tourne autour de 3,5 millions d’euros, dont une grande partie sert à rétribuer les prestataires de service[20]. Il est attendu que la crise sanitaire fasse plus que doubler ce chiffre. Ce montant est entièrement financé par la cotisation sectorielle et permet donc aux travailleurs de bénéficier gratuitement du reclassement, que l’entreprise qu’ils doivent quitter soit en bonne ou en mauvaise santé financière.
Le Cefora, que l’on pourrait comparer à une agence sectorielle pour l’emploi, ne réalise pas directement le reclassement professionnel des travailleurs licenciés mais confie son exécution à des tiers. En 2002, un premier appel d’offres a été lancé par le biais de la fédération des entreprises de reclassement, Federgon, et des collaborations ont été mises en place avec trois bureaux privés et trois bureaux publics (devenus entre-temps privés) : Daoust, Right Management Consultants (Manpower), GRH Management (Securex), Ascento, Trace et T Brussels Outplacement. Le 11 mai 2020, le conseil d’administration du Cefora, qui réunit les représentants des employeurs et des travailleurs, a décidé d’organiser un nouvel appel d’offres pour ses activités sectorielles de reclassement professionnel.
Entre 2002 et 2020, l’évolution des besoins en matière de reclassement et de la qualité des prestations a conduit à procéder régulièrement à des appels d’offres et à renouveler ou à mettre fin à des collaborations. Par exemple, la procédure de 2016 repose un cahier des charges approuvé par l’ensemble des administrateurs. L’envoi des candidatures est réalisé en septembre 2015 par la fédération des entreprises Federgon. Les membres du conseil d’administration bénéficient par ailleurs d’une autre source d’information : chaque travailleur bénéficiant d’un reclassement est invité au terme de la première phase d’accompagnement à remplir un questionnaire d’évaluation et le résultat est communiqué au Cefora[21]. In fine, les membres du conseil d’administration du Cefora sélectionnent six prestataires, parmi lesquels un nombre important de prestataires de taille moyenne[22].
Selon le site du Cefora, l’accompagnement (gratuit) comprend un soutien psychologique après le licenciement, la rédaction d’une vue d’ensemble des compétences du travailleur, le développement d’une campagne personnalisée pour retrouver un emploi, un accompagnement pour préparer les négociations en vue d’obtenir un nouveau contrat de travail, la préparation aux entretiens et aux tests de recrutement, des conseils sur les formations dispensées par le Cefora et d’autres organismes, l’accompagnement durant l’intégration dans le nouveau cadre de travail et un soutien logistique et administratif[23].
En résumé, on remarque une méthodologie transparente et qui tend à être le plus en phase possible avec les besoins des travailleurs, même si un bémol apparait : la diffusion du cahier des charges par la fédération des entreprises de reclassement empêche probablement des entreprises qui n’en sont pas membres d’y avoir accès. En effet, ce mode opératoire soulève des questions quant à sa conformité aux principes de transparence et de non-discrimination[24].
Conclusion
L’analyse des pratiques de l’organisme de formation ad hoc de la commission paritaire 200, le Cefora, laisse apparaitre une méthodologie rigoureuse, fondée sur un appel d’offres (malheureusement à diffusion réduite), laquelle permet d’offrir une ample palette de services au travailleur licencié. En outre, nous avons vu dans le paragraphe relatif aux F.S.E. que les méthodes de gestion imposées par la loi créent un lien continu entre les représentants des travailleurs et des employeurs réunis dans une commission paritaire et les missions réalisées par leur F.S.E. Il existe donc une chaine de contrôle qui part du travailleur et de son représentant jusqu’à la fourniture d’un accompagnement au travailleur licencié.
Par ailleurs, l’offre de formation via les fonds sectoriels ou par des organismes ad hoc et en utilisant des instruments conventionnels rendus obligatoires permet de couvrir l’entièreté des travailleurs d’un secteur. Elle revêt une dimension solidaire en ce que l’article 5bis de la loi du 7 janvier 1958 prévoit que « les Fonds de sécurité d’existence garantissent que les avantages qu’ils octroient sont gratuits pour les bénéficiaires. Aucun frais ne peut être mis à charge du bénéficiaire d’une manière ou d’une autre ». Aucun travailleur n’est laissé de côté, peu importe la santé financière ou la taille de l’entreprise à laquelle il appartient.
De plus, la gestion paritaire permet, jour après jour, d’évaluer les besoins des travailleurs en matière de formation en vue de rester en phase avec une économie changeante et de proposer l’offre de formation la plus adéquate. Par exemple, année après année, les efforts se sont concentrés sur les travailleurs dont les compétences sont moins sollicitées par le monde du travail, désignés « groupes à risque »[25]. La politique des groupes à risque éclaire les pratiques de reclassement professionnel en montrant que, dans les deux cas, il s’agit de mettre en place des systèmes d’accompagnement des travailleurs en difficulté – tantôt « à risque », tantôt licenciés.
L’écosystème de la formation professionnelle structuré autour des représentants des employeurs et des travailleurs de la branche d’activité et qui inclut les autorités publiques, des acteurs privés et des moyens collectifs fait-il apparaître une méthode appropriée pour réorienter les travailleurs dans un contexte de crise aigüe ? Selon le théoricien du droit Lon L. Fuller, « the relations within a plant form a seamless web; it here, and a complex pattern of adjustments may run though a whole structure »[26]. Le juriste qualifie dès lors ces problèmes de « polycentriques » et explique pourquoi les relations de travail appellent certains modes de résolution particuliers comme la négociation collective[27]. Face au défi colossal que représente aujourd’hui la réorientation des travailleurs et de la production, il est probable que la négociation collective et la façon dont elle est déjà structurée à l’échelon des secteurs soient des outils permettant des réponses appropriées. Si l’on en est convaincu, le maintien et le renforcement de son financement sont sans doute des éléments d’attention, surtout lorsque l’on comprend que la masse salariale sur laquelle les cotisations sont calculées s’est très considérablement réduite.
Jean-Benoît Maisin, Chercheur-doctorant à
l’Université Saint-Louis – Bruxelles
[1] https://www.nbb.be/fr/articles/impact-economique-de-la-crise-sanitaire-covid-19-un-scenario (20 mai 2020).
[2] On n’arrête pas l’éco, France Inter, 25 avril 2020.
[3] https://www.sudinfo.be/id191724/article/2020-05-18/la-proposition-de-maggie-de-block-pour-faire-face-la-penurie-reconvertir-des?referer=%2Farchives%2Frecherche%2Fpaywall%3Fdatefilter%3Dlastyear%26sort%3Ddate%2520desc%26start%3D10%26word%3Dde%2520block (20 mai 2020).
[4] Le programme est décrit sur la page du FINSS : www.fe-bi.org/fr/secteurs/Fonds/9704/finss-fonds-intersectoriel-des-services-de-sante-devenir-infirmieriere-aide-soignante (20 mai 2020).
[5] Pour ce faire, nous sélectionnons des extraits d’une étude à paraître à propos des systèmes sectoriels de reclassement professionnel, cette modalité particulière d’accompagnement du travailleur licencié. J.-B. Maisin, « La politique sectorielle du reclassement professionnel. Panorama d’un écosystème et lecture de droit européen de la concurrence », à paraître.
[6] La loi du 23 décembre 2005 relative au pacte de solidarité entre les générations ainsi que l’arrêté royal du 9 mars 2006 relatif à la gestion active des restructurations prévoient, entre autres, la création de cellules pour l’emploi (M.B., 30 décembre 2015 ; M.B., 31 mars 2006) et doivent être lus en même temps que l’arrêté royal du 3 mai 2007 fixant le régime de chômage avec complément d’entreprise, M.B., 8 juin 2007. La cellule est dirigée conjointement par l’entreprise en restructuration, le(s) organisation(s) syndicale(s) présente(s), et l’office pour l’emploi de la Région de l’entreprise, qui en assure la présidence. Le fonds sectoriel, s’il en existe un, fait également partie de la cellule.
[7] Convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du Travail n° 51 du 10 février 1992 relative à l’outplacement (ratifiée par l’AR du 10 avril 1992, paru au M.B. du 1er mai 1992).
[8] Convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du Travail n° 82 du 10 juillet 2002 relative au droit au reclassement professionnel pour les travailleurs de quarante-cinq ans et plus qui sont licenciés modifiée par la convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du Travail n° 82 bis du 17 juillet 2007 (ratifiées par les AR des 20 septembre 2002 et 3 octobre 2007, parus au M.B. des 5 octobre 2002 et 21 novembre 2007).
[9] Ceci dans le respect des conventions de l’OIT n° 122 sur la politique de l’emploi, 1964 et n° 154 sur la négociation collective, 1981 ; M.B., 15 sept. 2001.
[10] S. Gilson, « Introduction. À quand une véritable obligation de reclassement des travailleurs en droit social belge ? », in S. Gilson (dir.), Le reclassement professionnel des travailleurs licenciés. Droits des travailleurs et obligations des employeurs publics et privés, Limal, 2015, Anthémis. Voy. par ex. le site de la CSC, https://www.lacsc.be/docs/default-source/acv-csc-docsitemap/6000-centrales/6550-cne/6640-publications/2014-11-guide-syndical-du-reclassement-professionnel.pdf?sfvrsn=941f55f8_2 (28 avril 2020).
[11] Etude d’ensemble des rapports sur la convention (n ° 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (n ° 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, Rapport de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, 1994, Rapport III (Partie 4B), § 195.
[12] Pus précisément, il s’agit des commissions paritaires suivantes : 102.01, 102.02, 102.03, 102.04, 102.05, 102.06, 102.07, 102.08, 102.09, 104, 105, 106.01, 106.02, 106.03, 109, 110, 111.01, 111.03, 112, 113, 113.04, 114, 115, 115.03, 116, 117, 118, 118.03, 119, 120, 120.01, 120.02, 120.03, 121, 124, 125.02, 125.03, 126, 128, 128.01, 128.02, 128.03, 128.05, 128.06, 129, 130, 133.02, 133.03, 139, 140, 140.01, 140.02, 140.03, 140.04, 140.05, 142.01, 142.02, 144, 145, 145.04, 148, 149.01, 149.02, 149.03, 149.04, 152.01, 152.02, 200, 202, 204, 207, 209, 210, 211, 214, 215, 216, 217, 219, 220, 221, 223, 224, 226, 301, 301.05, 302, 303.01, 303.03, 306, 307, 308, 309, 310, 311, 312, 315.01, 315.02, 315.03, 317, 318.02, 319, 319.01, 319.02, 321, 324, 325, 326, 327.03, 328.01, 328.02, 328.03, 329.02, 340, 341. L’examen a eu lieu le 25 janvier 2017 pour les commission employés (2xx) et mixtes (3xx) et le 10 mai 2017 pour les commission paritaires ouvriers (1xx). Ces conventions sont disponibles sur le site du SPF Emploi, Travail et Concertation sociale.
[13] Il s’agit des conventions des commission paritaires suivantes : 102.06, 104, 106.02, 106.03, 120.01, 121, 124, 126, 145, 145.04, 148, 149.01, 149.02, 149.03, 149.04, 200, 209, 214, 216, 219, 226, 306, 307, 308, 309, 310, 315.02, 323, 324, 329.02, 341. Le reste des conventions traite d‘autres sujets que le reclassement, comme celles qui prévoient des obligations de maintien de l’emploi et interdisent ou modélisent les licenciements.
[14] Afin de mesurer l’ampleur de ces dispositifs, au dernier quadrimestre de l’année 2019, l’ensemble des commissions paritaires que nous y avons répertorié comptait un total de 262.333 de postes de travail. Les statistiques de l’emploi par commission paritaire sont disponibles sur le site de l’ONSS, https://www.onssrszlss.fgov.be/fr/statistiques/statistiques-en-ligne/evolution-des-postes-de-travail-par-commission-paritaire (15 avril 2020).
[15] M. Davagle, Droit collectif du travail, Tome 1 – Le cadre institutionnel de la concertation sociale, Limal, Anthémis, 2011, p. 275.
[16] M.B., 7 févr. 1958.
[17] Le secteur tertiaire de l’aide à la personne a toutefois développé des mécanismes, comme le secteur des titres-services (CP 322.01), de l’aide aux familles et aux personnes âgées (CP 318.01) ou encore le projet de formation en art infirmier, que nous avons évoqué en introduction. Dans le même domaine du secteur non-marchand, il ne faut pas non plus passer à côté des projets en matière d’emploi annexes au Maribel Social, lequel brasse en 2018 plus d’1,1 milliard d’euros, https://emploi.belgique.be/fr/themes/emploi-et-marche-du-travail/mesures-demploi/baisse-generale-du-cout-salarial/maribel-social#edit-group-documentation (28 avril 2020).
[18] Voy. www.constructiv.be. Entretien avec Jean-Louis Teheux, responsable du service de formation de la centrale Bois, Bâtiment et Industrie de la CSC, le 31 mars 2020.
[19] Le caractère obligatoire d’une procédure de reclassement naît en relation avec le statut futur de chômeur et les règles de l’ONEM. De façon synthétique, seuls les travailleurs qui ne devront pas être disponibles sur le marché du travail ne bénéficient pas d’une procédure de reclassement et ne doivent pas la suivre. La liste des F.S.E. constitués est disponible sur le site du Service public fédéral Emploi, travail et concertation sociale (https://emploi.belgique.be/fr/themes/concertation-sociale/fonds-de-securite-dexistence/liste-des-fonds-de-securite-dexistence, 31 mars 2020).
[20] CEFORA, Outplacement 2016, note au Conseil d’administration.
[21] CEFORA, Evaluation de l’action outplacement 2014, note au Conseil d’administration.
[22] CEFORA, Résultats appel d’offre outplacement. Les bureaux sélectionnés sont Galilei, Ascento, Ucare, SBS Skill Builders, ADMB et Travvant.
[23] https://www.cevora.be/fr/services-complementaires/outplacement/employes/regime-general-delai-de-preavis (20 mai 2020).
[24] J.-B. Maisin, « Affaire UNIS : octroyer des droits exclusifs par la négociation collective requiert une mise en concurrence ? », dans P.-O. de Broux, P. Nihoul (dir.), Actualités de droit public économique, Limal, Anthemis, 2017, pp. 7-27 ; Q. Detienne, J.-B. Maisin, « Sélection par les partenaires sociaux d’un organisme de pension sectoriel : l’obligation de transparence européenne et l’exercice de la négociation collective. Les voies de la conciliation », Tijdschrift voor Sociaal Recht (TSR) / Revue de Droit Social (RDS), 2018, pp. 457-513.
[25] Loi du 5 septembre 2001, art. 2 à 11.
[26] « Les relations au sein d’une entreprise forment une toile d’araignée sans couture ; tirez ici et un circuit complexe d’ajustement est susceptible de se propager à toute la structure », L.L. Fuller, « Collective Bargaining and the Arbitrator », Wis. L. Rev., 1963, pp. 3-46, spéc. p. 38.
[27] L.L. Fuller, « Adjudication and the Rule of Law », Am. Soc’y Int’l Proc., 1960, pp. 1-7, spéc. p. 3.