Carnet de crise #12 du 14 avril 2020: La continuité des services essentiels à l’épreuve du COVID-19 – Les réquisitions en temps de crise

La période de confinement que traversent actuellement la Belgique et la plupart des pays est inédite à bien des égards.

En particulier, sur le plan juridique et politique, cette situation engendre un nombre important de procédures exceptionnelles et l’adoption de mesures largement dérogatoires au droit commun. Qu’il s’agisse des pouvoirs spéciaux qui bouleversent l’équilibre traditionnel entre nos pouvoirs constitués ou des mesures adoptées pour limiter l’impact de la crise sur le budget de la sécurité sociale, les dispositifs extraordinaires se multiplient.

Afin de mieux comprendre ce qui se joue sous nos yeux, le Centre de droit public de l’ULB vous propose son Carnet de crise : régulièrement, ses membres mettront en ligne analyses et commentaires de ces dispositifs sous une forme accessible.

Bien entendu, les propos diffusés dans ce cadre n’engagent que leur auteur et autrice et non l’ensemble du CDP.

Télécharger Le Cahier de crise # 12 du 14 avril 2020 : La continuité des services essentiels à l’épreuve du COVID-19 – Les réquisitions en temps de crise

La crise sanitaire que nous vivons met, de par son ampleur et sa durée exceptionnelles, à rude épreuve le fonctionnement de certains services essentiels. Ceux-ci font face à un manque de moyens, humains et matériels, pour affronter l’épidémie. La nécessité de faire appel à l’appui logistique de l’armée dans certaines maisons de repos en raison de la contamination de leur personnel, si elle en est un exemple frappant, n’en est pas la seule manifestation. Les différents échelons politiques mettent tout en œuvre pour approvisionner les soignants en matériel : masques de protection, respirateurs ou encore gel hydroalcoolique sont devenus aussi rares que nécessaires dans le contexte de crise actuel. Ces pénuries d’équipements affectent particulièrement les travailleurs des services essentiels, en première ligne face au virus et font naitre des tensions sociales. Les mouvements de grève se multiplient dans ces secteurs cruciaux : transports publics, supermarchés ou encore dans les prisons. La police fédérale avait d’ailleurs déposé un préavis de grève couvrant la période du 12 au 19 avril, avant de le suspendre suite à une concertation avec le Ministre de l’Intérieur. La conjonction de ces facteurs – manque de personnel, manque de matériel et grève – pourrait entraver le fonctionnement des services essentiels, voire en mettre certains à l’arrêt.

Les pouvoirs publics adoptent diverses mesures pour éviter l’interruption de ces activités vitales. En ce qui concerne le manque de personnel, le Gouvernement fédéral se lance sur la voie d’une flexibilisation du marché du travail, en souhaitant faciliter le recours au travail étudiant ou au travail à durée déterminée pour remplacer les travailleurs malades. Dans la même optique, l’exécutif envisage d’augmenter le plafond d’heures supplémentaires défiscalisées dans les services essentiels. Pour répondre à la pénurie de matériel médical, des commandes de masques et de respirateurs sont passées en urgence par les pouvoirs publics, avec un succès mitigé puisque ces derniers sont confrontés à des fournisseurs peu diligents – livrant de la marchandise non conforme et donc inutilisable – ou à des faussaires, qui ne livrent jamais la marchandise. Ces mesures s’avèrent dès lors, dans bien des cas, insuffisantes.

Les autorités publiques peuvent alors être tentées de recourir à un procédé bien plus radical : la réquisition. Ce fût notamment le choix du Président des États-Unis, lorsqu’il a décidé de réquisitionner les usines de la société General Motors pour produire des respirateurs. En France, des associations de soignants ont introduit, sans succès, un recours devant le Conseil d’État pour demander qu’il soit fait injonction au Gouvernement de réquisitionner des entreprises et usines afin d’y produire du matériel médical[1]. Ce Carnet de crise fait le point sur les dispositifs de réquisitions existant dans l’arsenal juridique belge, pour évaluer les possibilités qui s’offrent aux autorités publiques en la matière. Le gouvernement a-t-il la possibilité de forcer le personnel gréviste à reprendre le travail si la grève entrave le fonctionnement de services essentiels ? Peut-il réquisitionner du matériel médical ou des médicaments appartenant à des firmes privées ? Est-il envisageable de contraindre des entreprises ou des usines à produire ce matériel ? Nous tentons de répondre à l’ensemble de ces questions d’actualité dans les lignes qui suivent.

Qu’est-ce qu’une réquisition ?

La réquisition occupe une place particulière dans l’inconscient collectif. Souvent rapprochée de l’expropriation, dont elle se distingue pourtant, la réquisition est souvent imaginée comme un procédé de spoliation par lequel l’autorité publique prive un citoyen d’un bien dont il a la propriété. Si cette idée n’est pas exempte de tout fondement, il faut constater que la notion juridique de réquisition est plus complexe. En l’absence de définition générale dans la loi, c’est une circulaire ministérielle de 2009 qui fournit la définition la plus complète de la réquisition en la considérant comme « (…) un mécanisme exceptionnel par lequel l’autorité publique impose des prestations à des personnes physiques ou morales ou s’attribue l’usage ou la propriété de biens meubles ou l’usage de biens immeubles, sans que le consentement de ces personnes ou des détenteurs de ces biens ne soit exigé, et ce uniquement en cas de nécessité absolue d’intérêt public et en l’absence de tout autre moyen raisonnable à sa disposition dans un délai utile »[2]. La circulaire précise encore qu’un tel procédé nécessite un fondement législatif, rappelant que le gouvernement ne dispose pas d’un pouvoir général de réquisition et ne peut agir que sur la base d’une habilitation spécifique.

La réquisition se caractérise donc par les circonstances tout à fait exceptionnelles dans lesquelles l’autorité peut y avoir recours. Elle peut porter aussi bien sur des choses – dont l’autorité publique requiert l’usage – que sur des personnes – auxquelles il est imposé des prestations données. Ainsi définie, la réquisition est un procédé qui pourrait permettre, dans le contexte de la crise actuelle, de requérir le matériel et le personnel nécessaire au fonctionnement des services essentiels. Encore faut-il, nous l’avons dit, que ce pouvoir soit prévu par une norme législative. Trois catégories de dispositifs législatifs prévoyant des réquisitions pourraient permettre de s’assurer de la bonne marche des services essentiels : ceux permettant des réquisitions en cas de grève, celui permettant la réquisition de médicaments et enfin ceux prévoyant des réquisitions dans certaines circonstances de crise.

Les instruments permettant des réquisitions de personnel en cas de grève

Nous l’avons vu, la crise sanitaire actuelle est susceptible de se doubler de conflits collectifs de travail et d’engendrer des mouvements de grève. Ces derniers, s’ils prenaient de l’ampleur, pourraient mettre en péril la fourniture de biens ou services essentiels. Le droit belge comprend divers textes législatifs permettant de réquisitionner du personnel en cas de grève pour assurer ce qu’on appelle généralement un « service minimum ». Ces mécanismes, très différents dans leurs modalités d’application, peuvent être classés en deux catégories : ceux concernant le secteur privé et ceux qui touchent le secteur public.

Dans le secteur privé, le texte de base est la loi du 19 août 1948 relative aux prestations d’intérêt public en temps de paix. Ce texte, qui vise à concilier le droit de grève des travailleurs avec le maintien d’activités vitales, permet aux partenaires sociaux, au sein des commission paritaires, de déterminer les contours d’un service minimum applicable aux entreprises rattachées à ces dernières en cas de grève. Concrètement, les représentants des travailleurs et des employeurs doivent s’entendre sur l’étendue des prestations d’intérêt public à maintenir en cas de grève. Les décisions des commissions paritaires sont ensuite approuvées par arrêté royal, ce qui leur donne force obligatoire. Si une commission paritaire n’a pas pris de décision alors qu’elle y a été enjointe par le gouvernement, ce dernier peut déterminer d’autorité les prestations que requièrent l’intérêt public. Ce travail d’identification des besoins vitaux intervient in tempore non suspecto, c’est-à-dire avant la survenance d’un conflit social. Une fois ces besoins identifiés, le personnel indispensable aux prestations peut être réquisitionné, généralement par le Ministre de l’Emploi ou des Affaires Économiques, en cas grève.

À ce jour, des besoins vitaux ont été identifiés dans sept secteurs distincts. Sont concernés, dans l’ordre chronologique de l’adoption des arrêtés royaux, la production et la distribution d’électricité[3], la production et la distribution de gaz[4], l’enlèvement des immondices[5], le commerce du pétrole[6], l’industrie hôtelière[7], les maisons d’éducation et d’hébergement (pour ce qui concerne la Communauté française et la Communauté flamande)[8] et enfin les établissements et les services de santé[9]. S’il n’est pas possible dans le cadre de ce Carnet de crise de présenter plus en détails les besoins vitaux identifiés au sein de chaque commission paritaire, nous pouvons néanmoins noter que l’ensemble des secteurs concernés sont repris dans la liste des services essentiels établie par l’arrêté Ministériel du 23 avril 2020 prévoyant les mesures de confinement. Concernant plus particulièrement les établissements et les services de santé, en première ligne dans le cadre de la crise actuelle, sont notamment soumis à un service minimum les maisons de repos, les maisons de soins psychiatriques ainsi que les hôpitaux. Eu égard au champ d’application de la loi du 19 août 1948, limité au secteur privé, seul le personnel des hôpitaux privés – à l’exclusion de celui des hôpitaux publics – peut être réquisitionné en application de cette loi. Les mêmes considérations amènent à douter de la légalité de l’arrêté royal concernant le ramassage des déchets, en ce qu’il s’adresse aux « services communaux » et non à des entreprises privées.

De manière contre-intuitive, le cadre juridique en matière de service minimum est bien plus disparate dans le secteur public. Il n’y existe en effet, contrairement au secteur privé, aucune loi générale encadrant l’instauration d’un service minimum. Il faut dès lors se référer aux lois particulières relatives à chacun des secteurs pour vérifier si une telle obligation de prester a été prévue, ce qui rend une présentation synthétique et exhaustive particulièrement ardue. Notons que nous ne présentons que les dispositifs de service minimum prévoyant un droit de réquisition de l’autorité publique. À ce titre, le service minimum mis en place à la SNCB par la loi du 29 novembre 2017 ne sera pas analysé, puisqu’il ne confère aucun pouvoir de réquisition à l’exécutif, qui ne peut pas contraindre les grévistes à reprendre le travail[10]. Nous ne revenons pas non plus sur les secteurs dans lesquels la grève est purement et simplement interdite, à savoir l’armée[11] et les services extérieurs de la Sûreté de l’État[12].

Trois services publics font aujourd’hui l’objet de dispositifs législatifs permettant la réquisition d’une partie du personnel en cas de conflit collectif. Premièrement, la RTBF, média audiovisuel public de la Communauté française, est tenue d’assurer des prestations minimales en toutes circonstances, et notamment en cas de grève. Ce service minimum, déterminé par un arrêté du Gouvernement de la Communauté française sur habilitation du législateur, prévoit un programme d’information minimal, tant en radio qu’en télévision[13]. Il appartient à l’administrateur général de la RTBF de réquisitionner le personnel indispensable, identifié à l’annexe de l’arrêté de Gouvernement. Deuxièmement, la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux permet au Ministre de l’Intérieur de réquisitionner les fonctionnaires de police locale ou fédérale qui envisagent de faire grève afin d’effectuer certaines missions qu’il identifie[14]. Ces missions sont précisées par un arrêté Ministériel du 4 janvier 2002 et comprennent « les missions qui sont nécessaires pour garantir un service minimal aux autorités et à la population » et doivent s’effectuer avec le personnel normalement disponible un dimanche. Troisièmement et dernièrement, un service minimum a été instauré dans les prisons par la loi du 23 mars 2019[15]. Ce dispositif permet la réquisition du personnel nécessaire en cas de grève d’une durée supérieure à deux jours. Les tâches à remplir impérativement par les agents pénitentiaires sont prévues par la loi et visent notamment à subvenir aux besoins élémentaires des détenus (repas, douches, visites, sorties, etc.). Si le personnel non-gréviste ne suffit pas pour assurer ces tâches, le gouverneur de la province peut procéder à la réquisition des agents grévistes nécessaires pour compléter l’effectif.

Ce survol des outils permettant de réquisitionner du personnel gréviste souligne le caractère disparate des dispositifs. Leur mobilisation dans le contexte de crise actuel peut paraître peu probable et insuffisante à plusieurs égards. Peu probable, tout d’abord, car les mouvements de grève actuels restent très ciblés et d’une faible durée. Il faudrait imaginer un envenimement social de plus en plus hypothétique au fur et à mesure que la crise sanitaire se stabilise pour envisager des conflits sociaux mettant réellement en péril des services essentiels. Insuffisante ensuite car, d’une part, certains secteurs en proie à la grogne sociale – grande distribution et transports publics entre autres – ne font pas partie des secteurs soumis à réquisition en cas de grève. D’autre part, même lorsque des réquisitions sont possibles, il s’agit, selon les textes légaux et pour respecter le droit de grève des travailleurs, d’effectuer un service minimum. Il est douteux qu’un tel service réduit, notamment au sein des forces de police et à plus forte raison dans les hôpitaux, actuellement surchargés, suffise à assurer le bon fonctionnement des services essentiels en ces temps de crise.

L’instrument permettant des réquisitions de médicaments

La loi du 25 mars 1964 sur les médicaments habilite le Roi à prendre un large panel de mesures pour s’assurer de l’approvisionnement continu en médicaments des établissements et professionnels de santé[16]. Sur la base de ce texte, le Gouvernement fédéral a adopté le 24 mars 2020 un arrêté royal relatif « à des mesures spéciales de lutte contre la pénurie de médicaments dans le contexte de la pandémie de SARS-CoV-2 ». Cet arrêté permet, entre autres, au Ministre de la Santé et à l’administrateur général de l’Agence Fédérale des Médicaments et des Produits de Santé (AFMPS) de réquisitionner des stocks de médicaments ou de matières premières en vue de leur redistribution. Aux termes de l’arrêté royal, la réquisition doit cependant être nécessaire et proportionnée à la lutte contre le COVID-19 et viser à assurer une distribution adéquate des médicaments, conformément aux besoins actuels en matière de santé publique. Cet arrêté royal est temporaire et cessera de sortir ses effets un an après sa publication.

Il faut néanmoins noter que la loi du 25 mars 1964 ne confère pas expressément un pouvoir de réquisition au Roi, ce qui peut faire douter de la légalité de l’arrêté royal sur ce point. Ce dernier semble fonder cette prérogative sur l’article 12septies de la loi, qui habilite le Roi à prendre, dans l’intérêt de la santé publique, toute mesure touchant notamment à la détention, la conservation ou encore à la distribution de médicaments.

Les instruments permettant des réquisitions de matériel et de personnel en cas de crise

Les autorités publiques belges ont à leur disposition divers outils de gestion de crise. Il est fréquent que ces textes législatifs prévoient un pouvoir de réquisition, qui permet une réaction rapide et efficace dans une situation urgente. Nous analysons les dispositifs prévoyant des réquisitions dans trois hypothèses : en cas d’épidémie, en cas de crise économique et en cas d’atteinte à la sécurité civile.

a. Les dispositifs visant à éviter la propagation d’une épidémie

Certains textes légaux permettent aux pouvoirs publics de procéder à des réquisitions dans le cadre très particulier d’une épidémie. Ainsi, un arrêté royal du 1er mars 1971 relatif à la prophylaxie des maladies transmissibles prévoyait la possibilité pour les bourgmestres et pour les inspecteurs d’hygiène – fonctionnaires représentant le SPF Santé publique au niveau local – de réquisitionner, dans les limites de leur circonscription, un service hospitalier lorsqu’il était porté à leur connaissance un cas suspect ou avéré de maladie quarantenaire[17]. La réquisition portait sur les bâtiments, l’équipement et le personnel de l’hôpital nécessaire au fonctionnement du service requis afin d’isoler et de soigner les patients infectés. L’autorité requérante pouvait également exiger l’évacuation du service requis afin d’éviter toute contagion. Suite à la communautarisation de la matière, les Communautés – et la Région wallonne, qui s’est vue transférer la compétence de la Communauté française – ont adopté par décret des mesures largement similaires à celles prévues par l’arrêté royal du 1er mars 1971[18]. Un changement notable mérite toutefois d’être signalé puisque dans la majorité des textes, la compétence de réquisition du bourgmestre est supprimée et devient la prérogative exclusive d’un fonctionnaire-médecin. Il est à noter que, dans le cadre de la crise du COVID-19, l’isolement prophylactique des patients a été recommandé aux hôpitaux généraux par une note qui leur a été adressée le 12 mars 2020 par les autorités publiques, sans qu’il soit, a priori, fait usage du pouvoir de réquisition que nous venons d’exposer.

b. Le dispositif de gestion de crise économique

Il est aujourd’hui évident que la crise sanitaire que nous traversons se double d’une crise économique. Les indispensables mesures de confinement ont mis une large partie de l’économie belge à l’arrêt, menaçant dans le même temps la viabilité de nombreuses entreprises. L’arsenal juridique belge comprend des outils permettant aux autorités publiques de lutter contre une telle crise. Ceux-ci sont aujourd’hui repris dans le Livre XVIII du Code de droit économique, intitulé « Instruments de gestion de crise », et comprennent, notamment, la possibilité de réquisitionner des biens et marchandises lorsque des circonstances imprévues sont susceptibles de mettre en danger le bon fonctionnement de l’économie[19]. L’ordre de réquisition est donné par le Ministre de l’Économie et peut porter non seulement sur les biens et produits eux-mêmes, mais également sur les établissements ou le matériel nécessaire à leur production. Une telle disposition pourrait potentiellement permettre au Ministre de l’Économie de réquisitionner des usines ou des entreprises pour y produire les équipements médicaux nécessaires, à l’image de la réquisition des usines de General Motors par le Président des États-Unis, que nous avons déjà mentionnée. Cette disposition permet – et a permis dans le passé – également de réquisitionner du personnel gréviste[20]. Elle pourrait dès lors être utilisée pour mettre fin à une grève dans un secteur non visé par les services minimum présentés ci-dessus.

Un arrêté ministériel a été adopté le 23 mars 2020 sur la base du Livre XVIII du Code de droit économique afin d’assurer l’approvisionnement des services de santé en équipement médical, compte-tenu des pénuries engendrées par l’épidémie sur le marché mondial. Cet arrêté ministériel prévoit notamment la possibilité pour des agents commissionnés par le Ministre de l’Économie – concrètement les fonctionnaires de la Direction Générale de l’Inspection Économique – de procéder à la réquisition d’une liste d’équipements médicaux. Sont visés les masques chirurgicaux, FFP2 et FFP3, les respirateurs ou encore les lunettes et masques de protection. Cet arrêté ministériel est temporaire et cessera de sortir ses effets trois mois après sa publication.

c. Le dispositif visant à assurer la sécurité civile

La dernière loi qui fera l’objet de notre examen est la loi du 15 mai 2007 sur la sécurité civile. Ce texte prévoit le cadre juridique applicable aux missions visant à secourir et protéger les personnes en assurant leur sécurité physique et matérielle. Concrètement, ces missions recouvrent entre autres l’aide médicale urgente, la lutte contre les incendies et les explosions et plus largement le sauvetage des personnes et de leur biens dans des circonstances dangereuses[21]. Cette loi est utilisée comme fondement juridique aux mesures de confinement décidées depuis le 13 mars par le Gouvernement fédéral. Plus spécifiquement, l’article 181 de la loi du 15 mai 2007 prévoit que le Ministre de l’Intérieur, le commandant de zone et le bourgmestre peuvent chacun procéder à des réquisitions dans le cadre de la réalisation de leurs missions de sécurité civile. Le texte précise néanmoins qu’une telle réquisition ne peut avoir lieu qu’à défaut de moyen à disposition de l’autorité requérante ou de services publics disponibles. En d’autres termes, la réquisition est un instrument « de dernier recours ».

La procédure de réquisition est précisée par un arrêté royal[22]. Il y est prévu que toute personne, physique ou morale, tout bien, meuble ou immeuble, peut être réquisitionné par les autorités compétentes. Ce pouvoir particulièrement large a par exemple permis au bourgmestre de Mons, Nicolas Martin, de réquisitionner 2000 masques chirurgicaux, originellement destinés à des night shops. Ces masques ont néanmoins été considérés comme impropres à l’usage par l’AFMPS, à défaut de certification européenne et n’ont jamais été envoyés aux établissements de soin. Le Ministre de l’Intérieur a également, en application de l’article 181, réquisitionné 187.500 tests au COVID-19 appartenant à une société privée, selon un communiqué de la Protection civile.

***

Le tour d’horizon – certes non exhaustif – des outils à disposition des autorités publiques pour réquisitionner des moyens humains et matériels en ces temps de crise montre la disparité et le caractère parcellaire de ceux-ci. À titre d’exemple, la réquisition du personnel de santé (médecins, ambulanciers, infirmiers, etc.) paraît, hormis le cas de la grève du personnel dans les établissements privés, manquer d’un fondement légal solide. C’est d’ailleurs probablement la raison pour laquelle le Conseil des Ministres restreint, élargi aux Présidents des partis soutenant les pouvoirs spéciaux, envisage d’adapter le cadre législatif actuel pour permettre la réquisition des soignants. Une telle mesure ne serait mise en œuvre, comme le signale l’exécutif, qu’en l’absence de suffisamment de volontaires pour assurer le bon fonctionnement des établissements de santé. La réquisition est en effet un procédé particulièrement attentatoire aux droits et libertés individuels, qui ne doit être utilisé qu’en cas d’absolue nécessité. Il paraît néanmoins important de se doter d’un arsenal législatif cohérent et clair, permettant de prendre rapidement des mesures à la hauteur d’une crise de l’ampleur de celle que nous vivons, tout en organisant une procédure et un contrôle suffisant sur l’exécutif pour éviter des dérives autoritaires. Ce délicat équilibre ne pourra être atteint qu’au travers d’une réflexion post crise, une fois le bilan de l’efficacité des mesures tiré. D’ici là, il faudra faire confiance à l’exécutif pour adopter des mesures efficaces et proportionnées, en faisant usage de ses pouvoirs spéciaux.

Antoine Mayence, Doctorant et assistant à l’ULB

[1] C.E. fr. (réf.), 28 mars 2020, n°439.693, A.A. et autres.

[2] Circulaire ministérielle du 30 mars 2009 « NPU-2 relative au plan général d’urgence et d’intervention du Gouverneur de province ».

[3] Arrêté du Régent du 29 janvier 1949 réglementant la production, la distribution et la consommation de l’énergie électrique en cas de pénurie de puissance et/ou d’énergie électrique par suite de conflit social.

[4] Arrêté du Régent du 29 janvier 1949 réglementant en cas de pénurie par suite de conflit social, la production, la distribution et la consommation du gaz.

[5] Arrêté royal du 31 décembre 1960 portant des dispositions spéciales en matière d’enlèvement des immondices.

[6] Arrêté royal du 3 janvier 1973 déterminant les besoins vitaux à satisfaire, en exécution de la loi du 19 août 1948 relative aux prestations d’intérêt public en temps de paix, pour le secteur pétrolier.

[7] Arrêté royal du 13 juin 1999 rendant obligatoire la décision du 9 décembre 1998 prise au sein de la Commission paritaire de l’industrie hôtelière en exécution de la loi du 19 août 1948 concernant les prestations d’intérêt public en temps de paix.

[8] Arrêtés des Gouvernements flamand et de la Communauté française du 21 juin 1999 rendant obligatoire les décisions des sous-commissions paritaires des maisons d’éducation et d’hébergement.

[9] Arrêté royal du 10 septembre 2010 rendant obligatoire la décision prise le 12 juillet 2010 au sein de la Commission paritaire des établissements et des services de santé en exécution de la loi du 19 août 1948 relative aux prestations d’intérêt public en temps de paix.

[10] Le dispositif se limite à obliger le personnel de la SNCB à signaler, avant l’action collective, sa volonté d’y participer ou non et ce pour permettre d’organiser au mieux le service, compte-tenu du personnel qui se sera déclaré « non-gréviste ».

[11] Loi du 28 février 2007 fixant le statut des militaires et candidats militaires du cadre actif des Forces armées, article 175.

[12] Loi du 17 mars 2004 organisant les relations entre les autorités publiques et les organisations syndicales du personnel des services extérieurs de la Sûreté de l’État, article 17.

[13] Décret du 17 juillet 1997 portant statut de la Radio-Télévision belge de la Communauté française, article 7, §6 et l’arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 26 janvier 1999 déterminant les règles relatives au programme minimum et aux équipements qui doivent être maintenus en permanence en ordre de fonctionnement à la Radio-Télévision belge de la Communauté française.

[14] Loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux, article 126, §2.

[15] Loi du 23 mars 2019 concernant l’organisation des services pénitentiaires et le statut du personnel pénitentiaire, articles 15 à 20.

[16] Loi du 25 mars 1964 sur les médicaments, notamment les articles 12quinquies et 12septies.

[17] Arrêté royal du 1er mars 1971 relatif à la prophylaxie des maladies transmissibles, articles 6bis et suivants.

[18] Décret du 21 novembre 2003 de la Communauté flamande relatif à la politique de santé préventive, article 47, §1, 4° ; Décret du 1er juin 2004 de la Communauté germanophone relatif à la promotion de la santé et à la prévention médicale, article 10.3, 5° ; Ordonnance du 19 juillet 2007 de la Commission communautaire commune relative à la politique de prévention en santé, article 13, 5° ; Code wallon de l’action sociale et de la santé, article 47/15, §1, 6°.

[19] Code de droit économique, article XVIII.2.

[20] Voy., entre autres, les arrêtés ministériels du 24 février 1976 et du 22 décembre 1982, portant respectivement réquisition, dans des contextes de grève, des bateaux servant au transport de marchandises et des services du port d’Anvers, cités par T. DELVAUX, « Instruments de gestion de crise (livre XVIII) : la nouveauté est ailleurs », J.T., 2014, p. 749.

[21] Loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile, article 11.

[22] Arrêté royal du 25 avril 2014 fixant les modalités du pouvoir de réquisition visé à l’article 181 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurité civile.

Centre de droit public et social © 2024 All Rights Reserved