La loi étendant l’euthanasie aux mineurs adoptée la semaine dernière a beaucoup fait parler d’elle, non seulement en Belgique mais également au-delà de nos frontières. Il suffit pour s’en convaincre de voir le nombre d’articles qui lui ont été consacrée hors de nos frontières et le nombre de commentaires laissés sur les blogs.
Sans rappeler les débats qui ont entouré l’adoption de cette loi, ni prendre directement position sur la légitimité ou l’opportunité de celle-ci, je voudrais mettre en lumière un ‘retour’ assez surprenant que cette loi a causé, et qui est peut-être passé inaperçu : le professeur de droit américain Eugene Kontorovich a suggéré que cette loi remettait en cause l’interdiction de l’exécution des mineurs, telle qu’elle ressort de l’arrêt Roper v. Simmons rendu il y a dix ans par la Cour suprême des Etats-Unis (voir l’article).
Pour comprendre le lien que fait ce professeur de Northwestern University entre l’euthanasie des mineurs et la peine de mort infligée aux mineurs, il faut revenir très brièvement sur cet arrêt. Durant le procès, dix-huit mémoires d’amicus curiae ont été déposés, et plusieurs d’entre eux contenaient des informations scientifiques (études psychologiques etc.) ainsi que du matériau comparatif avancé à l’appui d’une interdiction de la peine de mort infligée aux mineurs d’âge. Certains mémoires, entre autres de l’Union Européenne et d’organisations de défense des droits de l’homme basées en Grande Bretagne, encourageaient la Cour suprême à prendre en considération le droit international et le droit comparé. A une courte majorité, la Cour suprême conclut alors à l’incompatibilité de la peine de mort applicable aux mineurs avec le 8ème Amendement qui interdit les peines «cruelles et inhabituelles ». La Cour note qu’un consensus national s’est dégagé par rapport à cette question. Elle indique que les mineurs ne peuvent pas être reconnus coupables des crimes les plus graves, entre autres, en raison de leur manque de maturité et de leur vulnérabilité. Plus loin dans l’arrêt – en précisant qu’il s’agit uniquement de confirmer sa position – la Cour examine les arguments relatifs à la pratique internationale. Elle cite, par exemple, la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant et l’isolement des Etats-Unis quant à l’applicabilité de la peine de mort aux mineurs en se référant aux soumissions de divers amicus curiae. Elle mentionne plus longuement la pratique en Grande-Bretagne et écrit :
“It is proper that we acknowledge the overwhelming weight of international opinion against the juvenile death penalty, resting in large part on the understanding that the instability and emotional imbalance of young people may often be a factor in the crime. See Brief for Human Rights Committee of the Bar of England and Wales et al. as Amici Curiae 10—11.”
Cette référence est un peu étrange car l’intervention en question portait principalement sur la nécessité de prendre en considération la pratique internationale et ne cherchait pas à donner les raisons pour lesquelles les pays ont aboli la peine de mort pour les mineurs.
Ce sont ces éléments cités dans la décision qui amènent Kontorovich à oser la comparaison : si, aux Pays-Bas et en Belgique, les mineurs sont capables du discernement nécessaire pour pouvoir demander l’euthanasie, a fortiori ils le sont pour comprendre les conséquences de leurs actes. Il faut donc, selon le professeur américain, revisiter le raisonnement tenu dans Roper v. Simmons.
En soi, la question vaut la peine d’être soulevée. Malheureusement, elle est noyée dans des considérations superflues, voire fausses (cela faisait partie d’une campagne morale contre l’Amérique, la Belgique permettrait l’euthanasie d’un innocent de 12 ans mais ne punirait pas le coupable de 17 ans…) auxquelles d’autres ont déjà répondu (lire les opinions). Beaucoup pourrait être dit à propos de ces analogies (sur l’opportunité de comparer des situations de fait tellement éloignées, sur le fait que la loi belge continue de traiter les mineurs différemment des adultes en matière d’euthanasie, sur l’évaluation de la capacité de discernement en fonction des buts spécifiques, etc). Ici, je voudrais insister sur le jeu de chassé-croisé des références et sur la difficulté à laquelle sont confrontés les juges tentés de dialoguer ou à tout le moins de révéler les sources de leurs informations. De manière générale, les références à la pratique internationale dans l’arrêt Roper posent de nombreuses questions : rôle de l’expertise, représentativité, intérêt de définir un consensus à l’aide de ‘voisins’, utilisation du droit étranger dans le raisonnement, etc. Parmi les objections avancées, le juge Scalia, dans son opinion dissidente, écrivait : “Invoquer le droit étranger quand cela correspond à notre conviction dans un cas, et l’ignorer le reste du temps, ce n’est pas une décision rationnelle, mais un sophisme”. Les juges qui font référence à des pratiques ou des décisions étrangères ont reçu une volée de bois vert académique mais également médiatique – en particulier aux Etats-Unis.
Bien que les propos tenus par Kontorovich ouvrent un débat qui peut s’avérer intéressant, et même s’ils prêtent le flanc à la critique, ils ne feront que renforcer la frilosité de ces juges en matière de ‘citations croisées’. En effet, si ces citations servent de base à des analogies faciles à présenter au grand public et permettent de remettre en cause les décisions suite à des changements intervenus de l’autre côté de l’Atlantique, il est compréhensible qu’elles se feront encore plus rares qu’elles ne le sont déjà…