Un choix entre le pire et le pire

Par Marc Uyttendaele, cela a été dit. Par des constitutionnalistes de plusieurs universités. Par les services de la Chambre des représentants. Le Premier ministre, à la tête d’un nouveau gouvernement, doit se présenter devant la Chambre et y demander la confiance. Ce 12 décembre, il a été sommé de le faire par une majorité de la Chambre elle-même. Une motion d’ordre l’y a invité. À juste titre, cependant, le Président de l’assemblée avait considéré que cette motion était irrecevable. Pourquoi ? Parce que, dans une démocratie parlementaire, c’est le gouvernement qui demande la confiance de l’assemblée, et non l’assemblée qui demande au Premier ministre de la lui demander. Chacun à ses armes et ses prérogatives. Au Premier ministre, il appartient de demander la confiance. Au Parlement, il incombe de la lui donner ou de la lui refuser. Il peut aussi, à tout moment, voter une motion de méfiance. C’est ce qu’il aurait dû faire, le 12 décembre, devant le refus du Premier ministre de solliciter sa confiance. Aujourd’hui, celui-ci se trouve dans une impasse curieuse. Dans la pureté des principes, il lui est loisible de rester sourd à l’injonction qui lui a été donnée par la Chambre dès lors que celle-ci a empiété sur ses attributions. Dans le climat politique actuel, une telle démarche serait néanmoins singulière. Une semaine plus tôt, alors que la conclusion des Traités est une compétence exclusive de l’exécutif, il a eu beau jeu d’instrumentaliser la Chambre afin de pouvoir faire fi de l’opposition de la N-VA à la signature du Pacte de l’ONU pour les migrations. Il a demandé, pour la bonne cause et nul ne le lui reprochera, au Parlement d’intervenir dans un débat qui, a priori, à ce stade ne le concernait pas. Ceci rendrait donc plus difficile pour lui d’être à l’écoute de la Chambre lorsqu’elle sert intérêts et d’y rester sourd lorsqu’elle le contrarie. Il est hautement probable, cependant, que, tôt ou tard, la Chambre se prononcera sur une motion de confiance ou de méfiance au gouvernement et il est possible que celui-ci soit désavoué. L’imbroglio risque alors d’être plus effrayant encore tant notre droit constitutionnel est saugrenu. En effet, pour que le gouvernement soit contraint à la démission, il ne suffit pas que la confiance soit rejetée ou la méfiance soit votée. Encore faut-il que ce vote soit exprimé par 76 députés au moins, soit une majorité des membres de l’assemblée. Il suffit donc de quelques abstentions, de quelques absents pour que le gouvernement, constitutionnellement, puisse demeurer en fonction. Tel n’est pas le moindre des paradoxes de notre Constitution : un gouvernement minoritaire, incapable de réaliser son programme politique peut demeurer en fonction si une majorité des membres de la Chambre ne provoque pas sa démission. Le but du constituant était de créer la stabilité gouvernementale. Nous constatons aujourd’hui que c’est au prix de l’inertie institutionnelle et de la confusion générale. A un moment où, dans toutes les démocraties européennes, le crédit des politiques est au plus bas et à au moment où montent les colères populaires, une telle situation est désastreuse. Le premier ministre, le Parlement, les différents partis politiques ont donc le choix entre le pire et le pire. Ils peuvent soit s’enfoncer dans une mélasse juridique dans laquelle survit, dans l’application rigoureuse de la Constitution, un gouvernement incapable de gouverner, soit assumer des élections anticipées, ce que beaucoup considèrent comme une gifle aux citoyens, déjà dérangés dans leurs habitudes dominicales pour des élections locales en octobre 2018, européennes et régionales, en mai 2019. Cette peur est emblématique de la maladie qui frappe les démocraties parlementaires modernes. Les élections ne sont pas une fessée administrée méchamment aux électeurs, mais leur permettre d’intervenir, au moment où un État se bloque, dans la définition des politiques qui y seront conduites. C’est tout bêtement la démocratie, un mot qui ne devrait pas être considéré comme une grossièreté. Et le pire est atteint quand certains évoquent le coût de l’opération – 8 millions d’euros, une goutte d’eau dans le budget de l’Etat, comparée par exemple à l’achat d’avions de chasse – comme s’il fallait organiser des élections en soldes, à une période donnée l’année et au moindre coût. La démocratie n’a pas de prix. Quand les gouvernants ne sont plus capables de gouverner, ils doivent aussitôt rendre le pouvoir aux citoyens et provoquer des élections. Ne pas le faire est légitimer plus encore les cris de détresse et de violence de ceux qui, aujourd’hui, sans proposer la moindre alternative, veulent mettre en cendres un système qui, nonobstant tous ses défauts et ses défaillances, reste protecteur du plus grand nombre.  Bref, entre le pire et le pire, le pire certainement est de transformer la vie politique nationale en compost et de la laisser, jusqu’en mai prochain, poursuivre plus avant son processus de décomposition.

Centre de droit public et social © 2024 All Rights Reserved