UN MOIS APRÈS LES ÉLECTIONS – LE POINT

par Marc Uyttendaele.  Il y a un mois, les Belges se rendaient aux urnes.

Au niveau fédéral, il a d’emblée été clair que la constitution d’une majorité s’avérerait difficile, sinon impossible. En effet, elle aboutirait à forcer des formations politiques à s’unir à des partenaires dont les programmes sont l’exact inverse du leur. Dans un système démocratique, il ne peut être demandé à des partis de participer au pouvoir à la seule fin de ne pas laisser celui-ci vacant. A fortiori, dans des temps où la parole politique est dévaluée, il ne peut être reproché à des responsables politiques de refuser de prendre part à des gouvernements qui seraient incapables de mettre en œuvre tout ou partie des engagements qu’ils ont pris devant les électeurs. Dans pareil cas de figure, par le passé, la seule solution a été de revoir le modèle, soit de modifier les structures fondamentales de l’Etat afin d’augmenter les compétences des entités fédérées et de réduire celle de l’autorité fédérale. Ceci paraît presque impossible aujourd’hui pour deux raisons essentielles. Tout d’abord, il existe du côté francophone un large consensus, sinon une unanimité, pour refuser tout débat institutionnel. Ensuite, et plus fondamentalement encore, la déclaration de révision de la Constitution adoptée à l’extrême fin de la dernière législature ne laisse guère d’espace à la négociation d’une septième réforme de l’État. Il y a tout lieu de croire que la désignation de deux informateurs par le Roi, et leur travail dans la plus grande discrétion, ne soient qu’un voile pudique destiné à dissimuler le chaos. Une fois l’été passé, il faudra en prendre acte et plus que probablement se résigner à une réflexion en profondeur sur la viabilité du modèle fédéral belge, voire sur la pérennité même du pays. Ceci impliquera le vote d’une déclaration de révision de la Constitution à spectre large et de nouvelles élections fédérales, existentielles cette fois.

Il y a un mois, cependant, les observateurs pouvaient raisonnablement imaginer que des gouvernements régionaux et communautaires verraient rapidement le jour et offriraient ainsi une source de stabilité dans le paysage institutionnel global. Tel fut d’ailleurs le cas en Communauté germanophone.

Par contre, dans les entités fédérées, la mécanique se grippe.

En Communauté flamande, la majorité sortante (N-VA, CD&V et Open VLD) peut être reconduite. D’autres formules associant d’autres partis démocratiques sont possibles. Par contre, une majorité nationaliste unissant la N-VA et le Vlaams Belang ne peut recevoir le soutien d’une majorité au sein du Parlement flamand. Force est de constater que les discussions préalables à la négociation d’un accord de gouvernement ne s’expliquent que par la volonté de démontrer, d’une part, que le Vlaams Belang est aux yeux de la N-VA, un interlocuteur digne de respect et, d’autre part, qu’il ne pourra être associé au pouvoir en raison du refus opposé par les autres formations politiques.

Du côté francophone, tout aurait pu être simple. Il existait, dans chacune des entités concernées, la possibilité de mettre en œuvre des majorités progressistes, appelées de leurs vœux par les socialistes et écologistes. Il pouvait être fait appel à DEFI à Bruxelles et au CDH, en Région wallonne et en Communauté française. La décision prise par ce dernier parti, défait aux élections, de faire choix de l’opposition est le grain de sable qui enraye la mécanique de formation des gouvernements de la Région wallonne et de la Communauté française.

Arithmétiquement, deux majorités étaient encore possibles : l’une associant socialistes et libéraux, l’autre, arc en ciel, unissant ces deux partis et les écologistes.

Force est de constater, cependant, que les blessures de la législature précédente et de la campagne électorale sont profondes. La participation au gouvernement fédéral du MR comme seul parti francophone, sa connivence avec la N-VA, sa tolérance vis-à-vis d’un secrétaire d’Etat N-VA dont les propos fleurent la droite extrême, le changement de majorité en Wallonie en juillet 2017 et la violence des attaques contre ECOLO pendant la campagne électorale font que les écologistes et les socialistes craignent de heurter leurs militants et leur électorat en pactisant avec les libéraux.

Et c’est ainsi qu’est née, à la suggestion du co-président d’Ecolo, Jean-Marc NOLLET, l’idée d’une coalition « coquelicot », soit – et le socialiste Paul MAGNETTE l’avait également déjà évoqué – d’un gouvernement minoritaire socialiste-écologiste.

L’originalité de la coalition « coquelicot » telle qu’elle a été présentée réside dans le fait qu’elle associerait la société civile.

Il s’agit là évidemment d’un leurre. Associer la société civile à l’élaboration d’un programme est une idée positive qui n’a rien d’original. Dans la phase de formation des gouvernements, il a toujours été noué un dialogue, dans des proportions variables, avec des organismes et des associations issues de cette « société civile ». De même, il est arrivé, en Belgique, comme ailleurs, et notamment en France après l’élection du président MACRON, de confier des portefeuilles ministériels à des représentants de la société civile. Force est de constater qu’aussitôt désignés, les intéressés quittent la « société civile » pour entrer dans la « société politique ». Nous sommes donc très loin de la mise en œuvre des mécanismes participatifs ou délibératifs qui doivent plus vite être imaginés et mis en œuvre afin d’enrayer le dépérissement de la démocratie représentative.

Un leurre parce que l’association de la « société civile » à l’élaboration d’un programme gouvernemental et la désignation de ministres originellement non politiques est sans incidence aucune sur l’arithmétique parlementaire et sur la possibilité pour le gouvernement d’être soutenu par une majorité au sein du Parlement.

La coalition coquelicot serait dès lors fanée avant même d’être cueillie.

Il est constant, en effet, dans une démocratie parlementaire, qu’un gouvernement ne peut entrer en fonction que pour autant qu’il obtienne une majorité au sein du Parlement.

Dans le régime de parlementarisme rationnalisé institué par la loi spéciale du 8 août 1980, en règle, le gouvernement doit obtenir une majorité au moment de son entrée en fonction. Son article 60, § 1er prévoit que « Les candidats au Gouvernement présentés sur une même liste signée par la majorité absolue des membres du Parlement, sont élus ». Dans un souci de stabilité, il a été prévu, à l’article 71 de la même loi, que si ce gouvernement devenait minoritaire, il ne serait contraint à la démission que si le Parlement est en mesure, toujours à la majorité absolue de ses membres, de remplacer tout ou partie de ses membres.

A lire ces dispositions, deux constats semblent se dégager. D’une part, un gouvernement ne peut naître que soutenu par une majorité du Parlement. D’autre part, il peut vivre même si entretemps il a perdu cette majorité. Autrement dit, le législateur spécial a lui-même admis l’existence, et partant le fonctionnement d’un gouvernement minoritaire, mais, en principe, il a dû être appuyé par une majorité lors de son entrée en fonction.

Il pourrait en être déduit que la coalition coquelicot ne peut voir le jour.

Un journaliste, Himad MESSOUDI, subtil connaisseur du droit constitutionnel, m’a posé une question dont la réponse permet de démentir ce constat.

La loi spéciale du 8 août 1980 comprend, en effet, une disposition, l’article 60, § 2 et 3, qui apparaissait jusqu’ici comme inutile, sinon décorative.

L’article 60 § 2 prévoit que : « Si, au jour de l’élection, aucune liste, signée par la majorité absolue des membres du Parlement, n’est déposée entre les mains du président du Parlement, il est procédé à des élections séparées des membres du Gouvernement conformément au §3 du présent article ».

L’article 60, § 3 prévoit, quant à lui, que :

« Les présentations des candidatures au Gouvernement doivent être signées par cinq membres au moins du Parlement. Ceux-ci ne peuvent signer qu’une seule présentation à chaque mandat.

L’élection a lieu au scrutin secret et à la majorité absolue des membres du Parlement par autant de scrutins séparés qu’il y a de membres à élire. 

 Si, au cours d’un scrutin, aucun candidat ne recueille la majorité absolue au premier vote, il est procédé à un second vote pour départager les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages, après désistement éventuel d’un candidat mieux placé.

 En cas de parité de suffrages, la préférence est donnée au candidat le plus jeune ».

 

Cette disposition n’a jamais été mise en œuvre depuis 1980.

En toute logique, elle aurait dû l’être lors de la première réunion de chaque Parlement régional ou communautaire qui suit chaque élection. En effet, au lendemain de l’élection, un gouvernement est, en vertu de la coutume constitutionnelle, tenu de démissionner. Or, en vertu de l’article 73 de la loi spéciale, « Si le Gouvernement ou si l’un ou plusieurs de ses membres sont démissionnaires, il est pourvu sans délai à leur remplacement »

Dans la pratique, il a toujours été attendu qu’une nouvelle majorité se dégage pour procéder au remplacement du gouvernement.

Dans la situation actuelle qui est inédite, il pourrait être fait application de l’article 60, § 2 et § 3 pour constituer un gouvernement minoritaire.

La lecture attentive révèle qu’un ministre peut être élu avec le soutien d’une majorité relative du Parlement.

Le Parlement wallon pourrait ainsi procéder à l’élection séparée des membres du gouvernement. Il est manifeste que les candidats soutenus par le PS et ECOLO – représentant 35 députés sur 75 – partiraient largement favoris. Notons d’ailleurs que ces candidats peuvent aussi ne pas être parlementaires et appartenir à la « société civile ».

Pratiquement, au Parlement wallon, pour empêcher l’élection des candidats soutenus par le PS et ECOLO, il faudrait que tous les autres partis – MR, CDH et PTB – s’accordent pour soutenir ensemble l’élection d’un candidat concurrent.

A la Communauté française, le débat se poserait dans les mêmes termes, a fortiori si DEFI est associé à la majorité. Dans ce cas, en effet, le Parlement serait divisé en deux blocs de 47 membres et, en cas d’alliance MR, CDH, PTB, sur l’élection d’un candidat, le plus jeune serait élu.

En conséquence, en droit positif, la coalition coquelicot pourrait éclore à la Région wallonne et à la Communauté française.

Théoriquement d’ailleurs, en application des mêmes principes, une coalition caca d’oie – unissant la jaune N-VA et le brun Vlaams Belang – pourrait voir le jour en Communauté flamande.

Des gouvernements minoritaires peuvent donc, en droit, être institués dans les régions et les communautés.

De là à affirmer qu’il s’agit d’une idée heureuse, il y a un pas que l’on ne peut franchir. Un gouvernement minoritaire peut naître. Il peut vivre. Mais, sans majorité, il sera fragile et perpétuellement soumis au chantage de l’opposition lorsqu’il entendra mettre en œuvre son programme par la voie législative.

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