par Vincent de Coorebyter**
Il y a mille et une définitions de la démocratie, et autant de critères pour évaluer son degré de santé. Au regard de l’un d’entre eux, en tout cas – sa capacité à produire du changement, à ouvrir des alternatives –, les séquences actuelles sont assez déconcertantes.
Il est fort possible que le peuple écossais ait eu raison de refuser l’indépendance, lors du référendum de jeudi dernier. Mais il a peut-être eu tort d’avoir raison, de n’avoir eu que raison. Car le camp de la raison, ici comme souvent, était le camp de la conservation, de la prudence, du statu quo – et du chantage, explicite ou implicite. C’est devenu une constante dans nos démocraties dites avancées : face à toute proposition innovante, une foule d’experts expliquent gravement que le peuple a tout à perdre et rien à gagner à oser le changement, les critères utilisés pour cette démonstration étant, comme par hasard, exclusivement économiques ou budgétaires. La Nation, expliquait Renan, est un plébiscite de tous les jours, une communauté de destin aspirant à se forger un avenir, et c’est bien ainsi que l’entendaient les Ecossais favorables à l’indépendance. La démocratie, répliquent les experts, est un calcul de tous les jours, une assurance tous risques, une gestion prudente des ressources. Comment s’étonner, après cela, qu’elle fasse l’objet d’une adhésion aussi molle ?
Le plus étonnant, dans la couverture médiatique du référendum écossais, est l’obstination avec laquelle on a joué à nous faire peur à l’échelle européenne tout entière. En cas de « Yes » écossais, c’est l’Europe qui était menacée de désagrégation par un effet domino – et les commentateurs d’évoquer pêle-mêle la Catalogne, la Flandre, la Corse, la Padanie, le Tyrol du Sud…, toutes régions qui menaceraient de faire sécession. En réalité, le battage fait autour du référendum écossais a confirmé qu’une seule région était mûre pour prendre le large : la Catalogne, où 2 millions de personnes ont défilé pour réclamer un référendum similaire à celui de l’Ecosse. En Flandre, pour ne parler que d’elle, l’épisode écossais doit laisser un souvenir bien amer à la N-VA : aucune mobilisation en provenance de la base du Mouvement flamand, aucune initiative spectaculaire, juste une centaine de personnes rassemblées à Bruxelles la veille de la consultation écossaise. Plus que jamais, la preuve est faite que la Flandre ne veut pas son indépendance : elle raisonne elle aussi en termes de prudence économique, elle aspire simplement à profiter au mieux de sa prospérité – ce qu’elle peut obtenir dans le cadre d’un Etat fédéral qui se flamandise.
Une autre séquence, plus rassurante pour la démocratie, s’est ouverte ce dimanche, avec les marches qui ont scandé la journée mondiale d’action sur le climat organisée dans 150 pays. Plus de 300.000 personnes ont défilé à New York, selon les organisateurs, et bien d’autres villes ont été le théâtre d’une réelle mobilisation. Il reste que cette pression de la société civile, liée à l’ouverture ce mardi du sommet de l’ONU sur le climat, ne doit pas tromper : elle est avant tout le reflet d’une anomalie et d’une angoisse.
D’une anomalie, parce que les rôles sont inversés. En théorie, les dirigeants préparent des décisions prises au nom de l’intérêt général, et des fractions de la société descendent dans la rue pour protester au nom de leurs intérêts particuliers, qui seraient ignorés ou bousculés par la décision en cours. Mais, en l’occurrence, les marches n’ont pas été organisées pour contester le sommet de l’ONU sur le climat : elles avaient lieu pour le soutenir, avec le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, en tête des manifestants new-yorkais ! Cette anomalie est le reflet d’une angoisse : l’angoisse de voir la Conférence mondiale sur les changements climatiques, qui se tiendra à Paris à l’automne 2015, enregistrer un nouvel échec, déboucher sur une nouvelle incapacité à prendre des mesures collectives à la hauteur de la menace. Dans ce dossier, c’est la société civile qui fait la leçon aux gouvernants au nom de l’intérêt général, le nôtre et celui des générations futures, et ce sont les gouvernements qui s’arc-boutent (à des degrés divers selon les cas) à un intérêt catégoriel, celui des appareils économiques nationaux tels qu’ils sont actuellement organisés – et défendus par des lobbys puissants.
A une échelle plus modeste, une nouvelle séquence de la vie démocratique vient de s’ouvrir en France, avec le retour officiel de Nicolas Sarkozy sur le devant de la scène. A vrai dire, on ne sait trop, ici, ce qui déconcerte le plus. On admirera, sans doute, l’indépendance de la télévision publique française à l’égard du pouvoir en place, elle qui, par la voie de David Pujadas, offre depuis de longs mois de complaisantes tribunes à Marine Le Pen, et qui, dimanche, accordait 45 minutes d’interview dans un JT au troisième candidat déclaré à la présidence de l’UMP, c’est-à-dire au concurrent de Hervé Mariton et Bruno Le Maire.
Bien sûr, ce n’est pas à ce titre que Nicolas Sarkozy était interviewé : c’est le potentiel candidat à la présidentielle de 2017 qui était reçu au 20H. Mais, précisément, est-ce le rôle d’une télévision, de surcroît publique, de favoriser à ce point un des compétiteurs, alors même qu’il n’est pas encore assuré d’être choisi par son parti ? L’incapacité des médias français à se sevrer de Nicolas Sarkozy – dont les moindres faits et gestes étaient traqués pendant sa soi-disant retraite – en dit long sur la fascination des élites françaises pour le système présidentiel. Face à un François Hollande et à des socialistes déconcertants de maladresse (mais aussi maltraités par les médias à la moindre initiative gouvernementale), on sent que subsiste, en France, l’ardent désir d’assister à un duel de haut vol, comme si la politique devait se résumer à un scénario de western, quelque part entre « Les 7 mercenaires » et « Règlement de comptes à O.K. Corral ». Sauf que, en 2017, nous pourrions bien assister à un duel inédit, entre une candidate d’extrême droite qui essaie de faire oublier ce qu’elle est et un candidat de droite qui essaie de faire oublier ce qu’il a été. Certes, une telle configuration pourrait déboucher sur du changement, voire sur une réelle alternative. Mais la démocratie ne se résume pas à la possibilité d’ouvrir une nouvelle page de l’histoire d’une nation : il faut encore qu’elle s’écrive dans la transparence.
** Ce billet a été publié dan le journal Le Soir du 25 septembre