La période de confinement que traversent actuellement la Belgique et la plupart des pays est inédite à bien des égards.
En particulier, sur le plan juridique et politique, cette situation engendre un nombre important de procédures exceptionnelles et l’adoption de mesures largement dérogatoires au droit commun. Qu’il s’agisse des pouvoirs spéciaux qui bouleversent l’équilibre traditionnel entre nos pouvoirs constitués ou des mesures adoptées pour limiter l’impact de la crise sur le budget de la sécurité sociale, les dispositifs extraordinaires se multiplient.
Afin de mieux comprendre ce qui se joue sous nos yeux, le Centre de droit public de l’ULB vous propose son Carnet de crise : régulièrement, ses membres mettront en ligne analyses et commentaires de ces dispositifs sous une forme accessible.
Bien entendu, les propos diffusés dans ce cadre n’engagent que leur auteur et autrice et non l’ensemble du CDP.
Dans ce premier numéro du Carnet de crise, ce jeudi 26 mars 2020, alors que la Chambre des représentants s’apprête à octroyer les pouvoirs spéciaux au Gouvernement Wilmès II, Thibault Gaudin nous propose une capsule vidéo qui explique la nature de ces pouvoirs et les modalités de leur exercice par le gouvernement.
Dans les démocraties libérales, comme la nôtre, les pouvoirs de l’État sont classiquement divisés en trois grands pouvoirs : le pouvoir législatif – le pouvoir de faire les lois –, le pouvoir exécutif – le pouvoir de faire appliquer les lois – et le pouvoir judiciaire – le pouvoir de sanctionner la violation des lois.
En Belgique, au niveau fédéral, le pouvoir législatif est exercé collectivement par la Chambre des représentants, le Sénat et le Roi – c’est-à-dire, en pratique, le gouvernement fédéral. Le pouvoir exécutif, lui, est détenu par le Roi – là encore, en pratique, par le gouvernement. Enfin, le pouvoir judiciaire est confié aux cours et tribunaux.
Lorsqu’une loi est adoptée par le Parlement, le gouvernement – et c’est là son principal rôle – doit prendre des mesures d’exécution qui vont rendre la loi applicable dans la pratique. Tout ça, c’est la Constitution belge qui le prévoit, en son article 108 : « Le Roi fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois, sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution ». Les pouvoirs du Roi, et donc du gouvernement, sont par également limités par la Constitution. En effet, l’article 105 de la loi fondamentale prévoit que « Le Roi n’a d’autres pouvoirs que ceux qui lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières portées en vertu de la Constitution même ».
En principe, donc, le gouvernement ne peut agir que pour exécuter les lois. Mais une loi régulièrement adoptée pourrait augmenter les pouvoirs du gouvernement. C’est là ce qu’on appelle les pouvoirs spéciaux.
Armé de ces pouvoirs spéciaux, le gouvernement peut modifier, compléter ou abroger la législation existante et ce, sans passer par le Parlement, ce qui ne lui est pas possible en temps normal.
Pour autant, « pouvoirs spéciaux » ne signifie pas « pouvoir illimité ». Le gouvernement ne fait donc pas ce qu’il souhaite. En effet, le Parlement précise, dans sa loi d’habilitation, quelles sont les matières qui sont concernées par les pouvoirs spéciaux, et le gouvernement ne pourra agir que dans ce cadre. Par ailleurs, les pouvoirs spéciaux accordés par la Parlement le sont pour une durée limitée, à l’issue de laquelle il vont automatiquement disparaître. Ainsi, par exemple, l’actuel gouvernement de Sophie Wilmès n’a reçu, ce jeudi 26 mars, les pouvoirs spéciaux que pour 3 mois (renouvelables une fois) et pour gérer l’épidémie du coronavirus.
Dans ces limites, le gouvernement pourra donc adopter des arrêtés royaux qui auront juridiquement la même force qu’une loi. A l’issue de la période des pouvoirs spéciaux, le Parlement devra se pencher sur ces arrêtés. Pour qu’ils puissent continuer à produire leurs effets, ils devront être confirmés par le Parlement, sans quoi ils cesseront de s’appliquer. Les pouvoirs spéciaux permettent donc d’accélérer la prise de décision et de ne pas passer par la procédure parlementaire classique, qui peut être beaucoup plus longue.
Il est important de noter que, même investi de pouvoirs spéciaux, le gouvernement demeure contrôlé par le Parlement, qui peut à tout moment lui retirer sa confiance. Pour le gouvernement Wilmès, ce risque est d’autant plus grand qu’il ne dispose pas d’une majorité à la Chambre : il n’existe en réalité de majorité que pour lutter contre la pandémie.
On est donc bien loin d’une situation de pleins pouvoirs : la grande liberté dont jouit le gouvernement grâce aux pouvoirs spéciaux est en réalité une liberté surveillée. Voilà qui éloigne donc le spectre d’un Palpatine à la belge.
Thibault Gaudin, assistant et doctorant au Centre de droit public