La direction générale Personnes handicapées, une administration dysfonctionnelle *

Lettre ouverte de professeurs de toutes les universités au président du SPF Sécurité sociale et au ministre en charge des personnes handicapées.

L’administration qui a la charge des allocations aux personnes handicapées et des aides telles que les cartes de stationnement est la direction générale Personnes handicapées du SPF Sécurité sociale, connue des initiés sous le nom de “Vierge noire” (du nom de la rue où le service a longtemps eu son siège, avant de déménager, en 2008, à la Finance Tower). Son inaccessibilité pour les principaux intéressés et ses retards dans le traitement des demandes sont un scandale qui dure depuis des années. De nombreux articles de journaux, sujets TV, interpellations de parlementaires, critiques des mutuelles, cartes blanches, sorties d’associations de terrain et échos des praticiens du contentieux des allocations aux personnes handicapées en ont déjà fait état… sans effet à ce jour.

Le Conseil supérieur national des personnes handicapées, qui est l’instance d’avis officielle en charge du suivi de la matière, a pourtant publiquement dénoncé, et à plusieurs reprises, la situation. Dans un récent avis n° 2018/8, le Conseil a à nouveau dû faire le constat, après avoir entendu le directeur général de la DG Personnes handicapées, que la situation est « objectivement désastreuse”. Dans cet avis, le même Conseil a déploré l’absence de perspectives d’amélioration structurelle, alors que le problème est loin d’être nouveau. Saisi de nombreuses plaintes, le Médiateur fédéral a épinglé dans la foulée le fait que des personnes handicapées perdent de l’argent en raison de  la lenteur de l’administration, un certain nombre de droits n’étant pas accordés rétroactivement. Le Médiateur fédéral s’est lui aussi étonné de ce que ses précédentes recommandations sur le sujet aient été jusqu’ici laissées sans suite.

Actuellement, une personne qui tente de joindre le centre de contact de la DG Personnes handicapées, au 0800 987 99, a une probabilité très limitée de parvenir à parler à un agent. Des centaines de milliers de tentatives de joindre le centre de contact sont ainsi restées sans suite au cours de l’année 2018. Le site internet de la DG Personnes handicapées explique lui-même que “Pour l’instant, nous sommes difficilement joignables”. Alors que le même site indique ensuite “nous espérons qu’une solution sera apportée [à ces difficultés] dans les plus brefs délais”, il a été décidé il y a quelques mois de ne plus répondre au téléphone le mercredi. Cette mesure qui était supposée temporaire est devenue définitive. Depuis, le centre de contact n’est plus ouvert qu’entre 8h30 et 12h30 les lundi, mardi, jeudi et vendredi, soit 16 heures par semaine. Il n’en reste pas moins, durant ces heures, très difficilement accessible. Pour diminuer l’engorgement, l’administration invite de plus en plus les personnes handicapées à privilégier l’envoi d’un email, par le biais du formulaire de contact en ligne. Mais outre que les réponses aux emails “restent sporadiques”, ainsi que le notait le Conseil supérieur national des personnes handicapées dans son avis n° 2018/8, il est notoire que la digitalisation des dossiers et des échanges représente un obstacle difficilement surmontable pour une proportion significative des intéressés, souvent parmi les plus vulnérables de notre société.
Reste la faculté de se rendre physiquement à l’accueil de la Vierge noire, à la Finance Tower. Mais c’est en règle générale devenu peine perdue : toute personne handicapée qui se rend à l’accueil du siège central sans avoir obtenu préalablement un rendez-vous – lequel implique d’être parvenu à entrer d’abord en contact avec l’administration, par téléphone ou par un formulaire informatique… – est désormais refoulée, à moins de faire partie du quota hebdomadaire de 60 personnes informellement autorisées à se présenter le jeudi à partir de 9h. Oui, 60 personnes seulement, sur la base du principe “premier arrivé, premier servi”, le jeudi matin uniquement, et sans que cette possibilité soit renseignée sur le site internet de la DG Personnes handicapées. L’expérience montre qu’il faut se lever tôt… Seules subsistent encore les permanences organisées dans certaines communes (trois à Bruxelles, plus nombreuses en Flandre et en Wallonie), généralement deux à trois heures une fois par mois.

Au problème de l’inaccessibilité, s’ajoute celui des délais de traitement. Alors que le délai légal entre la date de réception de la demande et celle du premier paiement des allocations est de six mois au maximum, le Conseil national supérieur des personnes handicapées a souligné qu’“une grande proportion de dossiers souffre d’un délai de traitement qui varie entre une et deux années”, avec des fluctuations très substantielles d’une zone géographique à l’autre. C’est pour les personnes handicapées du Hainaut et de Bruxelles que le temps d’attente est le plus long, c’est-à-dire dans les régions qui sont déjà les plus défavorisées socialement. Pourquoi la Vierge noire n’est-elle pas en mesure de faire ce que toutes les autres institutions publiques de sécurité sociale du pays parviennent globalement à faire, c’est-à-dire respecter la réglementation ? La question se pose d’autant plus que les délais légaux sont souvent plus courts dans les autres branches de la sécurité sociale. Les CPAS ne disposent ainsi que d’un mois pour statuer sur les demandes d’obtention du revenu d’intégration, puis de 15 jours pour procéder au premier versement.

Du temps a cependant été trouvé pour prendre des mesures. Étonnamment, il s’agit toutefois de mesures destinées non pas à régler mais à cacher la situation. Ainsi, les statistiques détaillées sur les centaines de milliers d’appels laissés sans réponse (tonalité occupée, communications interrompues, message « tous nos opérateurs sont occupés », etc) ne sont plus diffusées. Les problèmes d’accessibilité téléphonique sont mentionnés de manière beaucoup plus discrète qu’auparavant sur le site internet de la DG Personnes handicapées. Les chiffres sur le temps de traitement moyen d’un dossier selon la zone géographique, qui étaient auparavant consultables en ligne, ont également été rendues inaccessibles. Est-ce parce que la situation ne s’améliore pas, malgré les promesses récurrentes et en dépit des doléances répétées de nombreux observateurs ?
Cette situation, qui persiste depuis des années, est intolérable. Les dysfonctionnements de la Vierge noire n’ont que trop duré. Ils font honte à notre sécurité sociale et représentent un scandale pour leurs premières victimes, les personnes handicapées. M. le président du SPF Sécurité sociale et M. le ministre en charge des Personnes handicapées, pouvez-vous nous dire, et dire aux personnes handicapées, quelles sont les mesures concrètes structurelles qui vont être prises pour mettre fin à ce scandale dans les plus brefs délais ? Pour les personnes handicapées en attente d’une information, d’un rendez-vous, d’une réponse,  d’un premier paiement, d’une carte de stationnement ou d’une attestation, il faut que 2019 commence moins mal que 2018 ne s’est terminé. Un débat public devrait être organisé de toute urgence en commission des Affaires sociales au Parlement, afin que vous puissiez y présenter un plan complet de résorption du problème. Ce plan ne pourra pas se limiter à l’énième annonce de quelques embauches : le problème est grave et exige bien plus que cela. Et les affaires courantes ne constituent pas une bonne excuse : juridiquement, un gouvernement en affaires courantes est parfaitement autorisé à prendre des mesures, y compris budgétaires, pour résoudre une situation urgente.

Kris Boudt (Vrije universiteit Brussel)

Bea Cantillon (Universiteit Antwerpen)

Daniël Cuypers (Universiteit Antwerpen)

Philippe Defeyt (Université catholique de Louvain)

Elise Dermine (Université libre de Bruxelles)

Daniel Dumont (Université libre de Bruxelles)

Valérie Flohimont (Université de Namur)

Petra Foubert (Universiteit Hasselt)

Isabelle Hachez (Université Saint-Louis)

Patrick Humblet (Universiteit Gent)

Yves Jorens (Universiteit Gent)

Fabienne Kéfer (Université de Liège)

Willy Lahaye (Université de Mons)

Freek Louckx (Universiteit Antwerpen)

Johan Put (KU Leuven)

Frédéric Schoenaers (Université de Liège)

Wim Van Lancker (KU Leuven)

Guido Van Limberghen (Vrije Universiteit Brussel)

Ronan Van Rossem (Universiteit Gent)

Frank Vandenbroucke (Universiteit van Amsterdam)

Yannick Vanderborght (Université Saint-Louis)

Pascale Vielle (Université catholique de Louvain)

Soutien ? Réaction ? daniel.dumont@ulb.ac.be (F) et guido.van.limberghen@vub.be (N)

Hashtag : #RespectForDisabledPeople

* Ce billet d’humeur a été publié initialement sous la forme d’une carte blanche dans le journal Le Soir du 7 janvier 2019. Les propos tenus dans ce billet d’humeur ne représentent que l’opinion de leur(s) auteur(s) et n’engagent ni le Centre de droit public, ni l’U.L.B..

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