Financement de la sécurité sociale: une « responsabilisation » en trompe-l’oeil

par Daniel Dumont, Pascale Vielle et  Jean-François Neven

La Chambre des représentants est actuellement saisie d’un projet de loi déposé par le gouvernement visant à réformer le financement de la sécurité sociale. Les enjeux de ce projet de loi, qui a suscité un échange d’ « amabilités » particulièrement musclé entre Elio Di Rupo et Charles Michel, ne sont pas anodins. On ne peut pas dire pourtant qu’ils aient été expliqués clairement au citoyen.

L’équilibre financier de la sécurité sociale dépend de l’évolution des recettes (les cotisations sociales payées par les employeurs, les travailleurs et les indépendants, complétées par les financements de l’Etat) et des dépenses (les différentes prestations : pensions, remboursement des soins de santé, allocations de chômage, indemnités de mutuelle…).

Depuis plusieurs décennies, on admet qu’en fin d’exercice, la sécurité sociale doit être à l’équilibre. Si nécessaire, l’Etat verse une dotation correspondant à l’écart entre les recettes et les dépenses. C’est ce qu’on appelle la dotation d’équilibre.

L’un des objectifs du projet de loi actuellement en discussion à la Chambre est « la définition d’une dotation d’équilibre transparente et responsabilisante ». Ceci se traduit dans le texte par la soumission de la dotation d’équilibre à différentes conditions, de manière à ce qu’elle ne soit plus automatique.

Cette forme de prétendue responsabilisation ne nous paraît pas acceptable, et ce pour deux raisons au moins.

Premièrement, l’entièreté des recettes et des dépenses résulte de choix qui sont faits par l’Etat lui-même. C’est, en effet, le gouvernement et le parlement qui fixent le taux des cotisations sociales et le montant des autres recettes de la sécurité sociale ; ce sont eux également qui fixent les règles en vertu desquelles les prestations sont accordées.

Le législateur fait ainsi, en permanence, des choix qui orientent le niveau des recettes et des dépenses : lorsqu’il adapte le remboursement de tel médicament, lorsqu’il augmente la pension minimum des indépendants, lorsqu’il décide de réduire les cotisations sociales, lorsqu’il modifie tel règle de calcul des pensions… A chaque fois,  il fait des choix qui, dans un sens ou dans l’autre, pèsent sur l’équilibre financier de la sécurité sociale.

Ces choix politiques sont légitimes, à une condition : c’est qu’au final, le gouvernement en assume les conséquences, en prenant en charge l’éventuel déséquilibre provoqué par ses décisions ou par des évolutions qu’il n’a pas ou mal anticipées.

Dès lors qu’il est le seul à pouvoir agir sur les modifications des recettes et des dépenses, il n’est pas acceptable que l’Etat se dé-responsabilise vis-à-vis de l’équilibre financier de la sécurité sociale, et reporte finalement cette responsabilité sur les bénéficiaires de prestations.

En réalité, l’Etat est garant de la sécurité sociale et doit le rester. Renoncer à une dotation d’équilibre inconditionnelle, ce serait valider l’idée que l’Etat a le droit d’être inconséquent.

La seconde raison pour laquelle le projet en discussion ne nous semble pas acceptable, tient au caractère arbitraire des motifs pour lesquels le gouvernement pourrait, à l’avenir, ne plus verser la dotation d’équilibre.

Il est, par exemple, envisagé que la dotation d’équilibre ne soit pas intégralement versée si la lutte contre la fraude sociale n’est pas suffisamment efficace. Ce motif est totalement imprécis : on ignore sur quelles bases, l’efficacité de la lutte contre la fraude sera évaluée. Surtout, il passe sous silence le fait que cette efficacité dépend pour l’essentiel de l’action du gouvernement lui-même !

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Bref, l’équilibre de la sécurité sociale risque à l’avenir de dépendre d’appréciations discrétionnaires du gouvernement qui lui serviront de prétexte pour se dégager de ses responsabilités à l’égard d’un éventuel déficit, et ce même si le déficit a été provoqué par des décisions qu’il a prises ou qu’il s’est abstenu de prendre. Curieuse méthode de « responsabilisation » !

On ne peut qu’être inquiet face aux incertitudes qu’un tel régime fait peser sur l’avenir de la sécurité sociale.

* Billet  publié sur www.rtbf.be le 23 janvier 2017

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