Jean-Michel Favresse nous a quittés ce mardi 29 juin 2021, mais son souvenir demeurera en nous.

Le souvenir d’un homme gentil, honnête, droit ; d’un observateur, discret mais attentif, de ses contemporains, de leurs qualités, de leurs forces et de leurs faiblesses.

Le souvenir d’un professeur, humain et respectueux de ses étudiants, qui a su susciter chez nombre d’entre eux l’attrait pour le droit administratif, et ce, par la clarté de ses explications, par son aptitude à stimuler la réflexion de son auditoire mais aussi par les nombreux exemples – parfois pittoresques – qui égayaient ses leçons et donnaient corps et vie à ses exposés et les ancraient dans la mémoire de chacun.

Le souvenir d’un juriste, qui, au terme d’analyses denses et rédigées d’une plume précise et rigoureuse, n’hésitait pas à remettre en cause les solutions communément admises dont il avait l’art de dénicher les failles. Pensons à ses études sur la théorie du retrait des actes administratifs, sur la décentralisation et la déconcentration administratives ou encore à tous ces chapitres du Traité de droit administratif de Flamme, qu’il a mis à jour en 1989 avec le concours d’autres anciens assistants du grand Maurice-André Flamme, son maître et prédécesseur à l’Université.

Le souvenir d’un homme, enfin, qui, spécialement par ses derniers écrits scientifiques, s’en est allé à la rencontre de son père : Félicien Favresse, professeur d’histoire à l’U.L.B. et éminent spécialiste du Moyen-Age. Le père a plus spécialement étudié les institutions administratives de la Ville de Bruxelles au Moyen-Age. Le fils, spécialiste du droit positif, en est peu à peu venu à l’étude de l’origine historique des concepts et institutions de droit administratif et nous a légué ces belles études d’histoire du droit sur les notions de tutelle administrative et de pouvoir général de police du Roi.

Nous n’oublierons pas Jean-Michel Favresse.


Né à Ixelles, le 10 avril 1936, Jean-Michel Favresse a obtenu auprès de l’U.L.B. les diplômes de docteur en droit en 1959 et de licencié en sciences économiques et financières en 1960. Avant d’accomplir ses obligations militaires, Il fut avocat stagiaire de Me Pierre Ansiaux, Bâtonnier de l’Ordre des avocats à la Cour de cassation. A son retour à la vie civile et après un bref passage dans l’enseignement secondaire, il préféra rejoindre, en mai 1962, le Crédit communal de Belgique, et son tout nouveau service des études et des analyses de portefeuille, où il publia notamment une étude remarquée relative aux placements réglementés des investisseurs institutionnels.

Mais l’appel de l’Université libre de Bruxelles sera finalement plus fort : il la rejoint en juillet 1963 et y fera carrière ; une université où il avait d’illustres prédécesseurs, en la personne de son père, le professeur Félicien Favresse, historien, et de son beau-père, le professeur Paul Glansdorff, physicien.

Dans un premier temps, il devint adjoint du secrétaire général de notre Université, Robert Leclercq, fonction qu’il exercera jusqu’au 31 janvier 1969. C’est toutefois en 1964 que son parcours académique débuta véritablement, lorsqu’il est devenu l’assistant du professeur Maurice-André Flamme, à temps partiel d’abord, et, à partir de l’année académique 1968-1969, à temps plein. En fait, il s’agissait de retrouvailles ; Jean-Michel Favresse retrouvait celui qui, également diplômé de philologie classique, avait été l’un de ses professeurs à l’Athénée de Saint-Gilles.

Tout en assurant avec dévouement les exercices pratiques des enseignements de Maurice-André Flamme mais aussi de ceux de Jean Sarot, Jean-Michel Favresse démontra rapidement toute son aptitude naturelle à la recherche scientifique. Il publiera notamment une importante étude consacrée à la protection contre la pollution de l’eau et de l’air, nouveau moyen de lutter contre les établissements dangereux, insalubres ou incommodes (1967), ainsi que les riches chapitres du Dictionnaire communal traitant de la tutelle administrative (1964) et des établissements dangereux, insalubres ou incommodes (1970).

Aussi l’Université décida-t-elle de s’attacher ses qualités en le nommant chef de travaux associé en 1970, nomination qui intervint à titre définitif dès l’année académique 1974. Plusieurs enseignements lui furent également confiés : Connaissance approfondie, en rapport avec le notariat, du droit administratif (1971), Principes d’organisation politique et administrative (1971), Notions de droit public et privé dans les rapports avec l’urbanisme (1974), Etudes approfondies des questions de droit belge relatives à l’environnement (1978).

De 1971 à 1974, la Faculté de droit en fit son secrétaire académique adjoint, puis son secrétaire académique. Il deviendra également membre puis président, durant de longues années, de la Commission de recours de l’Université ainsi que de la Commission électorale de l’Université.

Ces tâches pédagogiques et administratives ne l’empêchèrent pas de continuer à publier des études de très grande qualité. Notamment, un livre de 445 pages intitulé « Réglementation des prix et réglementation économique. Avant et après la loi Cools » (1977) à propos duquel le professeur Marc Somerhausen, premier président du Conseil d’Etat, écrira : « Même lorsqu’on ne partage pas les vues de l’auteur, on ne peut s’empêcher d’admirer sa vaste érudition dans un domaine ingrat, la rigueur de son analyse juridique et la clarté de son style. Les juristes d’entreprises en feront leur bréviaire. Souhaitons qu’on le lise au Square de Meeus… » (Revue communale, 1978, p. 30). Relevons aussi cette étude qui remet en cause les principes traditionnels de la théorie du retrait des actes administratifs et dont l’originalité interpelle encore les administrativistes (1971).

En 1979, Jean-Michel Favresse devint directeur du Centre de droit public de la Faculté de droit et titulaire du cours de Droit administratif approfondi. En 1982, la Faculté des sciences sociales, politiques et économiques le chargea de l’enseignement des cours de Droit public et d’Organisation administrative de la Belgique. Sa production scientifique s’enrichira encore, notamment d’une dense étude consacrée aux concepts de déconcentration et de décentralisation, deux notions traditionnellement présentées en droit administratif comme fondamentales et dont il montrera pourtant, au terme d’une dissertation astucieuse et rigoureuse, qu’elles sont « les reflets d’un monde disparu » (1984).

Tout ceci lui vaudra d’être nommé chargé de cours à temps plein en 1983 et d’accéder en 1985 à l’ordinariat. En 1986, lors de l’admission à l’éméritat du professeur Flamme, il s’imposa naturellement comme son digne successeur pour le cours de droit administratif. Il sera pendant quinze ans le titulaire écouté de la chaire de droit administratif de notre Université. Ce sera aussi pour lui l’occasion d’assumer, avec le concours d’autres anciens assistants de M.-A. Flamme, un rôle central dans la mise à jour et la publication, en 1989, sous forme d’un traité de droit administratif en deux volumes, des notes de cours que le professeur Flamme avait rédigées de sa plume alerte et novatrice tout au long de sa fructueuse carrière académique.

En 1994, il devint aussi assesseur auprès de la section de législation du Conseil d’Etat.

Admis à l’éméritat en octobre 2001, Jean-Michel Favresse se concentra sur l’histoire du droit administratif, discipline qui, au fil des ans s’est de plus en plus imposée au centre de ses réflexions, comme en témoigne déjà son étude parue en 1992 relative aux conceptions du constituant de 1830 sur la tutelle administrative. Ainsi publia-t-il encore en 2011 un substantiel article sur le pouvoir général de police du Roi, étude historique dont l’apport est déterminant pour comprendre le fondement juridique des arrêtés pris depuis mars 2020 par le ministre de l’Intérieur afin de tenter d’enrayer la propagation du coronavirus Covid-19.

12 juillet 2021, Patrick Goffaux  

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