par Marc Uyttendaele**
Une législature se termine. Elle n’a ressemblée à aucune autre. Elle a été l’occasion de la plus longue crise politique connue dans une démocratie moderne : 541 jours d’impasse. Elle a été l’occasion pour un certain nombre d’hommes et de femmes d’Etat de tromper le signe indien de l’échec annoncé et de conclure un accord institutionnel qui transforme sensiblement le paysage politique du pays. Il restait à finir la législature en beauté pour que le parcours soit parfait. Tel n’est malheureusement pas le cas. La majorité sortante n’a aucune raison d’être fière de son dernier acte politique. La déclaration de révision de la Constitution sur laquelle elle s’est accordée échappe à toute critique juridique, mais est navrante sur le plan démocratique, voire dangereuse sur le plan politique. Notre Constitution a été adoptée en 1831 à une époque où le pays était unitaire et où la démocratie n’existait pas. Certaines de ses dispositions sont le reflet de cette époque. Tel est le cas de l’article 195. Cette disposition exige pour qu’une modification soit apportée à la Constitution qu’elle soit adoptée à la majorité des deux tiers par chaque chambre. Cela signifie qu’une disposition constitutionnelle peut être adoptée contre la volonté d’une majorité de parlementaires francophones. Même s’il s’agit d’une hypothèse d’école, il suffit, en effet, que 12 des 62 députés et 7 des 29 sénateurs francophones votent avec l’ensemble des parlementaires flamands pour que la Constitution soit modifiée. En refusant toute modification de l’article 195, les auteurs de la déclaration de révision ont préservé pour une législature encore cette anomalie institutionnelle. Ils ont perdu l’occasion de garantir que la Constitution de ce pays ne puisse être modifiée que de l’accord d’une majorité de représentants francophones et de représentants néerlandophones. L’autre grande particularité de l’article 195 est qu’il permet à un Parlement agonisant de brider les pouvoirs des nouvelles assemblées, issues du suffrage universel. Autrement dit, une majorité politique (50 % + 1) finissante peut empêcher les nouvelles chambres, statuant à chacune à la majorité des deux tiers, de réaliser un programme institutionnel sur lequel elles s’entendraient. L’article 195 organise donc une confiscation de la démocratie. Les partis de la majorité croient avoir joué un tour pendable à la N-VA. Ils ont fait malheureusement l’inverse. Tout d’abord, ils font ainsi un formidable aveu de faiblesse. Ils reconnaissent, avant même les élections, qu’ils doivent verrouiller artificiellement le système institutionnel tant ils se sentent incapables d’opposer leur volonté à celle des nationalistes flamands. Ensuite, ils témoignent d’un manque de confiance dans le résultat des élections du 25 mai prochain. En effet, si un gouvernement fédéral peut se constituer sans la N-VA, le contenu de la déclaration de révision importe peu. L’existence d’une déclaration ne contraint pas à une révision constitutionnelle. Il peut cependant être utile de profiter d’une législature apaisée pour améliorer, dans la sérénité, en dehors des angoisses d’une crise, le texte de la norme fondamentale. Si, par contre, contre leur gré, certains partis de l’actuelle majorité doivent négocier un accord de gouvernement avec la N-VA, ils ont, dès aujourd’hui, déjà jeté les bases de la paralysie du pays. En politique, il ne faut pas avoir la mémoire courte. Tant en 2007 qu’en 2010, la stratégie des nationalistes flamands était claire. Ils n’accepteraient aucun accord de compromis et ils démontreraient que le modèle belge avait vécu. Le moyen utilisé était de paralyser totalement la machine fédérale. Qui peut croire qu’il en ira autrement après le 25 mai prochain ? Qui peut croire que la N-VA, qui ne le soutient d’ailleurs pas, a changé ? Comme il n’y aura rien à négocier, il n’y aura pas de négociation et la seule issue sera, après une crise inévitablement longue, de provoquer de nouvelles élections qui seront le prélude à un débat sur l’existence même de la Belgique telle que nous la connaissons aujourd’hui. Les nationalistes auront alors beau jeu de se présenter aux électeurs en indiquant que l’État belge est devenu ingérable et qu’il faut cette fois changer radicalement de modèle. C’est ce cadeau là que viennent d’offrir au pays tout entier ceux qui n’ont pas voulu inclure l’article 195 de la Constitution dans la déclaration de révision.
** texte préalablement paru dans la Libre Belgique du 24 avril 2014.