Par Marc Uyttendaele.
Les fossoyeurs de la monarchie ne se trouvent pas dans le monde du nationalisme flamand, mais bien chez les Francophones, et plus encore, dans la gauche francophone. Après la seconde guerre mondiale, lorsqu’il a fallu faire le bilan de l’attitude d’un Roi qui avait refusé de suivre le gouvernement dans son œuvre de résistance à Londres, qui avait serré la main d’Hitler à Berchtesgaden et qui renvoyait dos à dos nazis et alliés, les socialistes francophones ont porté haut la contestation du modèle monarchique. En Wallonie, certains ont même rêvé de l’instauration d’une république. Quelques décennies plus tard, ils adoptent l’attitude inverse. Non seulement il n’est pas question de prôner une république, mais pire encore, ils refusent le débat sur la modernisation de la monarchie. Ils entendent conserver telles quelles les règles instituées il y a près de deux siècles. Comment pousser plus loin le conservatisme ? Le paradoxe est saisissant.
En sollicitant un débat sur les pouvoirs du Roi, des nationalistes flamands offrent la possibilité de rajeunir, mais surtout de conforter le modèle monarchique. Il est peu imaginable, en effet, qu’après avoir demandé et obtenu une réforme fondamentale de notre régime politique, ils revendiquent aussitôt une rupture radicale avec celui-ci et l’instauration d’une république. Les Francophones commettent une erreur historique en refusant le débat car les règles constitutionnelles qui gouvernent aujourd’hui la monarchie sont inconciliables avec la démocratie moderne. Il en va tout d’abord ainsi des règles de dévolution au trône. Comment admettre, au XXIème siècle qu’une fonction importante, et relevant de l’intérêt général, soit mécaniquement attribuée en vertu de la loi du sang ? Il y a, tout d’abord, l’abjection qui consiste à interdire l’accès au trône aux enfants adoptés alors que le droit international fonde l’égalité entre tous les enfants. Mais l’essentiel n’est pas là. La Constitution ne prévoit aucun verrou de sécurité qui permette d’éviter que n’accède au trône quelqu’un qui y aurait vocation en raison de son sang et de sa situation dans un arbre généalogique, mais qui n’en aurait pas les aptitudes ou qui serait récusé par une majorité de la population. Sans doute trouverait-on alors un « truc » ou une « entourloupe » pour contourner les exigences constitutionnelles, mais une telle option est par essence malsaine. Sans qu’il faille personnaliser le propos, ne faudrait-il pas, pour préserver la monarchie, prévoir que le Roi ou la Reine est désigné par le Parlement dans le vivier constitué par la famille royale ? Une telle formule présente des avantages majeurs. D’une part, elle évite des accidents. Et des accidents, il peut en exister dans toutes les familles. L’histoire politique du XXème siècle l’a démontré, l’attitude de Léopold III pendant la guerre n’ayant rien eu d’honorable. L’actualité récente le démontre, une fille du Roi d’Espagne étant impliquée dans un important scandale financier. D’autre part, elle confèrerait à la personnalité ainsi désignée une légitimité autre que juridique puisqu’elle devrait l’exercice de sa fonction à la manifestation de la volonté des élus de la Nation. Il est piquant de constater que cette solution a été récusée par le sénateur Delpérée, lequel ne voit pas « les braves » députés et sénateurs assumer pareille mission.
Ceci révèle que la monarchie a pour effet de ramener ataviquement certains à l’ancien régime dès lors que les élus du peuple sont en quelque sorte considérés, même par l’un d’entre eux, comme des manants, indignes d’intervenir dans un débat aussi essentiel. Il conviendrait aussi de prévoir dans la Constitution une disposition qui permette au Parlement de mettre fin à un règne, au moment où il l’estime opportun. En effet, les « accidents » ne sont pas toujours prévisibles et il faut se donner les moyens d’y réagir. Qui pouvait imaginer, au moment où il est entré en fonction, que Léopold III aurait des complaisances à l’égard de l’idéologie de l’ordre nouveau ? Ensuite, la Constitution de 1831, texte subtil de compromis, a mis le Roi à toutes les sauces. Il est une branche de l‘exécutif et du législatif, mais il est affirmé par ailleurs qu’il n’a aucun pouvoir personnel, chacun de ses actes devant être contresigné par un ministre. Ce compromis n’a plus guère de raison d’être aujourd’hui. Pire, il génère une ambigüité, les citoyens pouvant croire que celui qui est privé de tout pouvoir en exercerait néanmoins un. A l’heure de la transparence démocratique, il y a lieu d’aligner l’apparence du texte constitutionnel sur la réalité juridique et politique, soit de confier au gouvernement et à lui seul le soin d’exercer le pouvoir exécutif et d’être une branche du pouvoir législatif. Ces différentes réformes permettraient au futur chef de l’Etat d’exercer ses fonctions sans que soit systématiquement posée la question existentielle de la monarchie. Disposant d’une légitimité nouvelle, du fait du vote du Parlement précédant son entrée en fonction, il pourrait même avec plus de confort et d’autorité remplir le rôle qui est le sien dans les moments de crise liés à la formation d’un gouvernement. En refusant même de débattre de ces questions, la gauche francophone poursuit, inconsciemment sans doute, l’objectif qui était celui de quelques uns des siens à l’aube des années cinquante, permettre en Belgique, l’émergence d’une république.
Carte blanche précédemment publiée sur le site du journal Le Soir, le 3 mai 2013.