Les sagouins et les poltrons

par Marc Uyttendaele**

C’est après beaucoup d’hésitation que je prends la plume pour évoquer l’affaire du Collège Saint-Michel tant je suis convaincu que le débat public à ce propos est une blessure insupportable infligée aux adolescents mis en cause et à leurs familles. Celui qui s’exprime à ce propos, même pour stigmatiser l’existence d’un débat, ne succombe-t-il pas au piège que précisément il dénonce ? Cette question demeurera pour moi sans réponse et si je prends le risque d’aller jusqu’au bout de ces lignes, c’est parce que, en conscience, j’éprouve la nécessité de partager un écœurement et une conviction. L’écœurement de voir un organe de presse jeter en pâture à l’opinion un prétendu scandale. Le souci d’informer pèse bien peu face à la jubilation malsaine de bénéficier d’un scoop et de conforter ainsi une position commerciale. La liberté de la presse est un outil essentiel de la démocratie mais, à force de la sacraliser, elle se dilue dans la liberté du commerce et de l’industrie. Le but de ceux qui s’en prévalent ainsi pour attiser la curiosité malsaine du public n’est pas d’informer, mais de vendre. A n’importe quel prix. Il est grand temps de se rappeler l’enseignement de MONTESQUIEU et la nécessité qu’il existe toujours un pouvoir pour en arrêter un autre. Sous réserve d’actions civiles en dommages intérêts, les journalistes, incarnant le quatrième pouvoir, bénéficient d’une réelle impunité. Le médecin, l’avocat, l’architecte et tant d’autres professionnels sont soumis à des ordres professionnels qui les rappellent au besoin à l’ordre, qui peuvent les suspendre pendant un temps, qui peuvent même les radier dans les cas les plus graves. Le journaliste qui se comporte comme un sagouin sans scrupules non seulement échappe à toute poursuite pénale – le délit de presse n’est plus guère poursuivi – mais n’a rien à craindre de ses pairs. Tout au plus sera-t-il sermonné par un organe déontologique qui a le mérite d’exister mais qui n’a pas de pouvoir disciplinaire. Ce sermon, ce rappel à la règle, le journaliste mis en cause n‘en a cure. Il a publié précisément ce pour quoi il est payé. Il comble ses patrons, lesquels comblent leurs actionnaires et qu’importe la réprobation de la profession, si les ventes sont à la hausse… Mais là n’est pas le seul élément attristant de cette affaire. Quelques adolescents ont sans doute eu un comportement inapproprié. Ils sont à l’âge où l’on se cherche, où les personnalités se façonnent, où elles se mettent progressivement en place, avec inévitablement quelques tâtonnements, quelques erreurs, quelques exagérations. C’est l’âge de l’excès et de la vulnérabilité. Ces adolescents sont à l’école, dans le lieu qui est censé les canaliser, les aider à grandir, les aider à se construire. C’est le devoir de l’école de les accompagner, de leur offrir des balises, de les aider à façonner leurs valeurs. Lorsque, comme ici, la seule réponse qui leur donnée est l’exclusion, l’école n’est pas à la hauteur de ce que l’on attend d’elle. N’est-ce pas là une poltronnerie navrante que de faire disparaître un désordre plutôt que de le comprendre d’y remédier ? L’école succombe elle-même à une triste dérive, celle de s’aimer plus qu’elle n’aime ceux qui la fréquentent. Là aussi, comme dans la presse, le virus de la concurrence fait des dégâts. La priorité n’est plus, coûte que coûte, de remplir une mission d’éducation au bénéfice de tous les enfants et adolescents fréquentant un établissement scolaire, mais de préserver la réputation de celui-ci. L’école est elle-même prise en otage d’un monde où tout se sait, où tout se montre ou tout se discute en temps réel alors que, en de telles circonstances, ce sont la discrétion, la pudeur, le respect réciproque et le dialogue qui devaient s’imposer. Alors oui, cette affaire est un double rendez-vous manqué. Prisonniers de leurs propres dérives, un organe de presse n’a pas compris ce qu’était qu’informer, au sens le plus noble du terme et un établissement scolaire n’a pas compris ce qu’était qu’éduquer, au sens le plus noble du terme.

 

** Ce billet est précédemment paru dans la Libre Belgique.

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