Par Marc Uyttendaele. Le Premier ministre a clairement indiqué qu’il n’entendait pas solliciter la confiance du Parlement à la suite de l’entrée en fonction de son nouveau gouvernement. Est-ce une obligation ?
Le droit constitutionnel est à la fois un droit écrit et coutumier. Un droit façonné par des règles écrites et par des principes qui s’en déduisent. Un droit rendu parfois fragile par le fait que l‘ensemble de ses prescriptions – en particulier lorsqu’elles concernent les relations entre le gouvernement et le Parlement – ne font pas l’objet d’un contrôle juridictionnel.
Il est vrai que l’on ne trouvera aucune règle écrite précisant qu’un gouvernement minoritaire, délesté d’un parti de la majorité précédente, à la composition revue et au programme resserré, est juridiquement obligé de se présenter devant la Chambre des représentants et d’y obtenir la confiance.
Le droit écrit crée donc une brèche dans laquelle le Premier ministre ou des juristes proches du pouvoir n’hésitent pas à s’engouffrer.
Cependant, les principes qui se déduisent du texte constitutionnel ne laissent guère de doute sur l’obligation qui pèse sur le gouvernement. Ils n’interdisent en rien qu’un gouvernement soit composé de ministres appartenant à des partis qui, ensemble, ne disposent pas d’une majorité à la Chambre des représentants. Ceci ne les dispense pas d’être soutenus, même passivement de l’extérieur, par une majorité des membres de l’assemblée. Il s’agit là de l’essence même du modèle démocratique et du système représentatif.
Au début de chaque législature, le Premier ministre lit la déclaration gouvernementale et sollicite la confiance de la Chambre des représentants. Mieux, au début de chaque session parlementaire, au mois d’octobre, il lit une déclaration sur l’état de l’union et sollicite la confiance de la Chambre des représentants.
Les deux raisons qui le conduisent à observer cette règle sont, d’une part, la constitution d’un nouveau gouvernement, et, d’autre part, la présentation d’un programme d’action pour les années ou les mois à venir.
Aujourd’hui, ces deux conditions sont réunies.
Le gouvernement actuel est, à l’évidence, un nouveau gouvernement. Outre le fait qu’il compte de nouveaux ministres, la structure même de la coalition a été modifiée.
Le programme de ce gouvernement n’est pas la continuation de celui qui avait été présenté par la coalition précédente. En effet, de nouvelles priorités sont fixées, notamment pour répondre aux urgences en matière climatique.
Il s’en déduit que le Premier ministre doit se présenter devant la Chambre pour en obtenir la confiance.
Plus fondamentalement encore, dans un régime représentatif, le gouvernement tient sa légitimité sinon du soutien d’une majorité parlementaire, à tout le moins de l’acceptation par cette majorité de le voir exercer la fonction exécutive. Telle est la portée de l’article 101 de la Constitution qui prévoit que « Les ministres sont responsables devant la Chambre des représentants ». Ceci implique que le gouvernement obtienne la confiance de la Chambre. On en trouve une confirmation dans le texte de l’article 138 du Règlement de la Chambre qui dispose que « La motion de méfiance est une motion par laquelle la Chambre retire sa confiance à un membre du gouvernement ou au gouvernement ». Pour que la confiance soit « retirée », il va sans dire qu’elle a dû être « accordée ».
Il n’est d’ailleurs pas totalement exclu que le Conseil d’Etat censure la méconnaissance de ce principe. Il n’a pas hésité à annuler des actes du gouvernement qui avaient été pris en période d’affaire courantes ou en période de dissolution des chambres. Il a estimé que le gouvernement ne pouvait pas poser d’actes politiquement sensibles lorsqu’il échappait au contrôle parlementaire. Si tel n’est pas à proprement parler le cas en l’espèce, il n’est pas impossible que la haute juridiction administrative estime qu’est dépourvu de toute légitimité démocratique, un gouvernement qui s’est délibérément soustrait, lors de son entrée en fonction, à un vote de confiance de la Chambre.
L’article 46 de la Constitution protège, cependant, dans une certaine mesure, la nouvelle équipe.
Pour que le gouvernement soit contraint à la démission, il faut qu’une majorité des membres de la Chambre rejette une motion de confiance ou vote une motion de confiance. Dans la configuration actuelle, le gouvernement ne pourrait être renversé que si les parlementaires de la N-VA refusent expressément de lui exprimer leur confiance. Une simple abstention de leur part ne contraindrait pas la nouvelle équipe à la démission.
Par ailleurs, il n’existe aucun moyen de droit qui puisse contraindre le Premier ministre à solliciter la confiance de la Chambre. L’article 133 du règlement de cette assemblée ne crée dans son chef aucune obligation, mais une simple faculté.
Les partis de l’opposition n’auraient donc d’autre faculté, pour contourner cet obstacle, que de déposer une motion de méfiance. Dans ce cas, également, afin que le gouvernement soit contraint à la démission et que ceci ouvre le droit à dissolution, il faut qu’une majorité des membres de la Chambre exprime sa méfiance à l’égard de la nouvelle équipe. Le dépôt d’une pareille motion contraindra dès lors la N-VA à prendre attitude. Si les nationalistes flamands la votent, ils contraindront le gouvernement à la démission et rendront possible des élections anticipées.
Le gouvernement peut également démissionner sans pour autant que la majorité des membres aient rejeté une motion de confiance ou aient voté une motion de méfiance. Tel pourrait le cas si une motion de méfiance ou une motion de confiance à une majorité inférieure à 76 voix ou s’il se considère simplement incapable de gouverner normalement. Dans une telle hypothèse, la dissolution est possible pour autant que la Chambre y donne son assentiment à la majorité de ses membres.
A défaut, le gouvernement sera démissionnaire et expédiera les affaires courantes jusqu’aux élections du 26 mai prochain. Si les nationalistes flamands s’abstiennent lors du vote sur la motion de méfiance, la situation sera claire. Le gouvernement minoritaire devra sa survie à un soutien parlementaire extérieur à la coalition, offert précisément par ceux-là mêmes avec lesquels les partis de la coalition venaient de divorcer avec fracas.
Ceci n’a pas pour effet d’épuiser le débat car la question des votes de confiance et de méfiance qui peuvent être exprimés dans l’action quotidienne de la Chambre des représentants.
Faut-il considérer que les motions doivent être adoptées à la majorité absolue de la Chambre des représentants pour consacrer la méfiance à l’égard du gouvernement ou l’un de ses membres ou le rejet d’une question de confiance ? A cet égard, il faut se référer à l’article 53 de la Constitution selon lequel : « Toute résolution est prise à la majorité absolue des suffrages, sauf ce qui sera établi par les règlements des Chambres à l’égard des élections et présentations », combiné à l’article 60 du Règlement de la Chambre selon lequel « Les abstentions sont comptées dans le nombre des membres présents, mais n’interviennent pas pour déterminer la majorité́ absolue et les majorités spéciales des suffrages exprimés prévues par la Constitution ou par la loi ». Autrement dit, la règle constitutionnelle selon laquelle la motion de méfiance et le rejet de la question de confiance doivent être adoptée à la majorité des membres de la Chambre ne vaut qu’en ce qui concerne la possibilité d’ouvrir le droit à la dissolution.
La question se pose donc de savoir quelles conséquences s’il convient de tirer du rejet d’une question de confiance ou du vote d’une motion méfiance, valablement adoptée dans le respect de l’article 53 de la Constitution et de l’article 60 du Règlement de la Chambre. Cette question n’a rien de théorique dès lors que toute interpellation donne lieu au vote d’une motion. Dans ce cas, le gouvernement peut tirer les conséquences du vote du Parlement, et démissionner. Cependant, il n’est pas contraint à la démission.
Enfin, la situation est différente pour un ministre considéré individuellement. Une motion de méfiance individuelle le concernant le contraindra à la démission si elle est votée à la majorité visée à l’article 53 de la Constitution et à l’article 60 du Règlement de la Chambre, et cela sans qu’il soit nécessaire qu’elle ait été adoptée par une majorité des membres de la Chambre des représentants.
En conclusion, un gouvernement minoritaire peu rester en fonction tant qu’une majorité des membres de la Chambre n’ont pas voté la méfiance ou rejeté la confiance, et cela même si l’assemblée lui manifeste sa méfiance par des motions votées à une majorité moindre. Par contre, un ministre, à titre individuel, devra démissionner si la chambre lui manifeste sa méfiance, et peu importe à quelle majorité. Dans ce cas, le gouvernement devra apprécier si, solidaire du ministre en cause, il démissionne dans son ensemble ou s’il poursuit son action en le remplaçant.