La presse se fait l’écho de l’intention du futur gouvernement flamand de supprimer le vote obligatoire lors des élections locales. L’idée avait été aussi lancée au sud du pays par quelques trublions qui très vite ont été réduits au silence au sein même de leur formation politique. Cette réforme conforte le discours du Président de la N-VA selon lequel il existerait en Belgique « deux démocraties ». Le propos est juridiquement inexact car une la démocratie belge est un ensemble institutionnel unique structuré par la Constitution et les normes prises en vertu de celle-ci. Cependant, il existe bien, dans notre pays, deux sociétés de plus en plus irréconciliables et, assurément, deux cultures politiques de plus en plus antinomiques. Open VLD et N-VA préconisent la suppression du vote obligatoire notamment parce qu’il s’agirait d’un moyen d’enrayer la montée de l’extrême-droite au Nord du pays. Le propos est peu convaincant en fait et inadmissible dans son principe. En fait, nul ne peut raisonnablement anticiper le comportement des électeurs. Historiquement, le vote obligatoire a été présenté comme un rempart contre les votes extrêmes, le postulat étant que les électeurs indifférents à la chose publique n’ont guère tendance à exprimer des votes de rupture. Le postulat des négociateurs flamands est rigoureusement inverse. Ils présument que ces indifférents sont en colère et que les contraindre à exprimer leur suffrage les conduit à un acte de vengeance contre le modèle démocratique. En ce faisant, ces partis expriment un mépris de mauvais aloi à l’égard des électeurs qui ont emprunté la voie nauséabonde indiquée par l’extrême-droite. Ils imaginent que ceux-ci ne sont pas mobilisés par des convictions fortes et par une hostilité fondamentale à l’égard du modèle démocratique. L’histoire comme l’actualité révèlent pourtant que nombre de régimes liberticides ou populistes sont nés de scrutins dans le cadre desquels le vote n’est pas obligatoire. Il n’existe évidemment aucun argument scientifique permettant de départager les tenants de ces deux thèses, et cela d’autant plus que d’élection à élection, le comportement des électeurs peut se modifier du tout ou tout. Seuls les principes doivent dès lors être pris en considération. Or la Belgique s’honore d’avoir constitutionnellement consacré le vote obligatoire pour les élections à la Chambre des représentants, et de l’avoir imposé à toutes les élections. Ainsi, notre système institutionnel se fonde sur le lien essentiel entre la démocratie et la citoyenneté. La qualité de citoyen confère des droits politiques, des libertés publiques et des droits économiques et sociaux. Elle requiert aussi du citoyen des devoirs qui en font un acteur obligé du choix des gouvernants. Au même titre qu’il paie des impôts, il se doit de prendre part au choix des gouvernants. Au moment où la démocratie parlementaire s’effrite et où il convient d’imaginer de nouveaux mécanismes impliquant activement les citoyens dans la vie publique, renoncer au vote obligatoire apparaît comme une erreur historique et un acte de lâcheté démocratique. Le gouffre qui sépare les citoyens du monde politique exige d’imaginer de nouvelles procédures qui recréent un lien entre les électeurs et les élus fondés sur des mécanismes participatifs et délibératifs. Il n’est plus possible de cantonner l’intervention des citoyens à la seule manifestation périodique d’un vote lors des élections fédérales, régionales ou locales. Il faut oser reconstruire une démocratie à géométrie complexe dans laquelle les élections se doublent d’une possibilité d’intervention active des citoyens dans les processus de décision. Cependant, ces réformes nécessaires ne peuvent-être imaginées sans le socle, sans les fondations de l’élection de représentants par le peuple. La démocratie demeure un contrat entre les citoyens et les gouvernants. Or un contrat implique des obligations réciproques et, immense est aujourd’hui le danger de laisser le citoyen croupir dans sa mauvaise humeur, ses frustrations, sinon sa colère. Renoncer au vote obligatoire revient à admettre que la politique n’est pas l’affaire de tous et que l’on tolère que, dans la société, certains soient autorisés à s’exclure du débat démocratique, et partant subrepticement à en devenir les adversaires. N’est-ce pas là, précisément, la manière la plus sournoise de faire le lit de l’extrême-droite et du populisme ? Sans doute rétorquera-t-on que, en imposant le vote obligatoire, la Belgique fait figure d’exception dans le concert des nations démocratiques. L’argument est irrecevable Avec le vote obligatoire, lequel existe d’ailleurs aussi en Grèce, au Luxembourg et en Australie, la Belgique a développé une conception fière et forte de la démocratie rappelant à chacun de ses citoyens qu’il ne peut se réfugier dans un individualisme sclérosé et qu’il doit, périodiquement, prendre part à la confection du destin commun du peuple dont il est une composante. Décider l’inverse est une manière de faire acte de collaboration avec toutes les forces souterraines qui menacent l’idée même de citoyenneté et les libertés de tout un chacun.
Par Marc Uyttendaele, carte blanche publiée le 30 septembre 2019, Le Soir