par Marc Uyttendaele** Lorsque, en 2003, la Cour constitutionnelle censure une réforme électorale votée quelques mois plus tôt, personne n’imagine qu’elle vient de provoquer huit ans de malheur politique. Francophones et Flamands vont se déchirer sur la question de savoir s’il faut ou non scinder l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde pour les élections à la Chambre des représentants. En octobre 2011, enfin, une solution de compromis est dégagée. L’arrondissement est scindé, mais les électeurs de six communes à facilités de la périphérie bruxelloises peuvent continuer à voter, s’ils le souhaitent, pour des candidats qui se présentent à Bruxelles. Le 8 mai dernier, dans l’indifférence générale, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours formé contre ce nouveau dispositif électoral. Lors des élections du 25 mai, le nouveau système a pleinement produit ses effets. À la Chambre des représentants, il n’y a plus de députés flamands à Bruxelles et il n’y a plus de députés francophones en Brabant flamand. Personne ne s’en est plaint. Une belle victoire pour les auteurs de la sixième réforme de l’Etat. Depuis 1997, Francophones et Flamands se déchirent sur la circulaire Peeters. Celle-ci impose aux Francophones qui bénéficient de facilités linguistiques de réitérer pour chaque document administratif qui leur est destiné qu’il leur soit adressé en français. Auparavant, une seule demande suffisait pour qu’en tout temps ils bénéficient de cette facilité. Une chambre flamande du Conseil d’Etat a rejeté les recours formés par des Francophones contre cette circulaire. Des bourgmestres de la périphérie bruxelloise ont refusé d’en faire application et, en guise de représailles, le gouvernement flamand a refusé qu’ils soient à nouveau nommés en qualité de premiers magistrats de leurs communes. Sous la législature communale précédente, traumatisés par le parti-pris des magistrats flamands du Conseil d’Etat, les bourgmestres non nommés ont renoncé à faire appel à cette juridiction pour connaître des décisions défavorables prises à leur encontre. Les auteurs de la sixième réforme de l’Etat ont inventé un système complexe contraignant les bourgmestres à saisir le Conseil d’Etat et imposant à celui-ci, dans une composition paritaire sur le plan linguistique, de donner une solution définitive au conflit les opposant au gouvernement flamand. Beaucoup étaient sceptiques quant à la capacité de cette juridiction à s’accorder sur une solution dans une problématique à ce point sensible. On se souvient, en effet, des divisions profondes existant entre conseillers d’Etat francophones et néerlandophones, depuis le début des années septante, sur à peu près toutes les questions sensibles intéressant les conflits linguistiques. Or, miracle, le 20 juin dernier, le Conseil d’Etat, à l’image de ce que fait souvent la Cour constitutionnelle, s’est accordé sur une solution de compromis où aucune des communautés n’en sort humiliée. Il dresse l’acte de décès de la circulaire Peeters. Désormais, un Francophone d’une commune à facilité ne devra plus demander pour chaque document administratif qu’il lui soit délivré en français. Il lui suffit de formuler une demande pour que pendant quatre ans – et non ad vitam aeternam comme le soutenaient les Francophones – il bénéficie de cette facilité sans autre formalité. Le Conseil d’Etat a, de surcroît, constaté que Véronique CAPRASSE devait être nommée comme bourgmestre de Crainhem dès lors que le seul reproche qui lui était adressé avait été d’envisager de ne pas appliquer la réglementation linguistique tel qu’interprétée par son autorité de tutelle. Par contre, il refuse de nommer Damien THIERY comme bourgmestre de Linkebeek parce qu’il a, de manière consciente et réitérée, refusé d’appliquer cette réglementation. Certains en seront choqués, mais il pourra leur être rétorqué qu’il existe en Belgique un principe applicable à tous les citoyens qu’est le privilège du préalable. Toute décision de l’autorité publique, fut-elle irrégulière, doit être exécutée tant que son irrégularité n’a pas été constatée par une juridiction. La règle qui s’impose, par exemple, au contribuable qui conteste une dette fiscale s’impose également à un bourgmestre d’une commune à facilités. La sanction prise à l’encontre de Damien THIERY est certes sévère, mais n’est pas absurde. Bref, le Conseil d’Etat s’est honoré en rendant une décision équilibrée, illustrant ce que le compromis à la belge peut avoir de pacificateur. Les auteurs de la réforme de l’Etat peuvent aussi se féliciter d’avoir jeté les bases d’une solution définitive à des problèmes qui menaçaient durablement la stabilité politique du pays. BHV, la circulaire Peeters, la nomination des bourgmestres sont autant de petits cancers politiques jugulés. Les solutions dégagées dans l’accord de 2011, le comportement ultérieur de la Cour constitutionnelle et du Conseil d’Etat sont autant de pieds de nez à ceux qui font des conflits communautaires leurs fonds de commerce. Ces solutions honorent les partis qui les ont dégagées. Or c’est précisément au moment où leur œuvre peut être célébrée qu’ils s’entredéchirent, se refusent de gouverner encore ensemble alors même que les résultats des élections les y autorisent et qu’ils font ainsi le lit des pyromanes nationalistes. Comprenne qui pourra.
** Ce texte est à paraître dans Le Soir.